Car
l’événement que j’attendais finalement se produisit : je rencontrai
Dino Egger. Ou du moins, se fit jour en mon esprit
la nécessité de Dino Egger. Il fut soudain clair pour moi, évident
et indubitable qu’il manquait. Confiné dans cette pure attente d’un
destin que je ferais mien, j’étais mieux que quiconque
disposé à ressentir ce manque qui n’expliquait pas seulement ma
faillite personnelle mais celle de toute l’expérience humaine, vouée à
l’échec ou à la catastrophe. Les autres hommes ne pouvaient
l’éprouver si vivement, pris au piège d’une vie bornée, leurs
espoirs se limitaient à la réalisation des objectifs à court terme
inscrits dans la logique de ces menus gestes près du corps dont
ils faisaient dépendre naïvement leur bonheur. Et pourtant,
l’absence de Dino Egger béait de toutes parts. Maintenant que je m’en
étais avisé, j’en distinguais partout le signe, cette bouche
grande ouverte, sans lèvres ni dents d’où sortait un cri muet ou si
assourdissant peut-être que notre ouïe infirme ne le percevait pas, tels
ces marins au long cours qui n’entendent plus le
grondement incessant de l’océan. Sans tarder davantage, je me mis en
quête de Dino Egger. Plusieurs fois, je crus le tenir. J’ai relaté dans
ces pages mes successives déconvenues.
Eric Chevillard, Dino Egger, Minuit,
2011, p. 121-122.
L’inexistence est un beau sujet, ce n’est pas moi qui dirai le contraire. N’est-ce pas au fond le sujet de toute
littérature ? l’origine de toutes nos gesticulations ? Albert Moindre, qui s’y connaît depuis Sans l’orang-outan, et même déjà avant, rappelez-vous les Trois tentatives
pour réintroduire le tigre mangeur d’hommes dans nos campagnes de Thomas Pilaster, n’a pas fini d’y disparaître.
(Dites donc, qu'est-ce qui se passe, chez vous ? J'ai encore essayé d'y aller ; impossible de redécoller : on se croirait sur l'île de Choir.)