samedi 30 janvier 2010

n’avait-il pas seulement cru qu’il écrivait ?

Il avait encore plus de mal avec le problème de ceux de ses personnages qui se mettaient en tête d’écrire. Sans compter Madame Cherbonnier, qui, Dieu merci, renonçait vite à son projet de roman autobiographique, il y avait deux candidats sérieux à l’écriture : au premier étage à droite le docteur Ménétrier et, au rez-de-chaussée, le neveu des deux vieilles demoiselles Bornichet. Ils écrivaient, tous les deux, longuement, quoique non sans mal. Mais com­ment leurs écrits avaient-ils pu être connus de lui et par lui révélés ? Escrivant s’embrouillait indéfiniment dans ce pro­blème : il pensait à des préfaces ou à des postfaces, des aver­tissements, des notes de l’éditeur ou autres épiceries de même farine. Ces procédés, il le savait très bien, étaient connus et pratiqués de longue date. Mais il lisait avec méfiance les textes qui en faisaient usage et craignait pour son roman la même réaction. D’autant qu’il aurait fallu un avertisse­ment séparé pour chacun des deux écrits ! Il prit parti pour deux solutions opposées, aussi arbitraires que brutales. Pour le docteur Ménétrier, il supprima tout bonnement ses écrits, n’en laissant subsister que les commentaires. Pour le neveu, il les présenta tels quels, sans souffler mot de la façon dont ils lui étaient parvenus. Et puis, était-ce vraiment ce qu’il avait écrit ? Avait-il seulement écrit, ce débile de Bornichet ? N’avait-il pas seulement cru qu’il écrivait, comme un homme qui rêve assis près de sa lampe ?
 
REZ-DE-CHAUSSÉE
 
J’aime bien lire le journal. Je m’achète France Soir deux fois par semaine, chez le marchand de journaux de la station de métro Vallier, où je passe, forcément, quand je vais au Perpétuel Secours. Le marchand com­mence à me connaître, à la longue, et de temps en temps il me donne en plus de France Soir un exem­plaire du France Dimanche ou du Radar de la semaine d’avant, qu’il n’a pas réussi à vendre. France Dimanche ressemble beaucoup à France Soir, sans Chéri-Bibi ni Juliette de mon cœur, mais avec, de temps en temps, des morceaux de romans en plus, avec des dessins. Mais je n’aime pas les romans, moi. Je préfère Radar, à cause des grandes photos qui occupent la première page. C’est dommage qu’elles ne soient pas en couleurs. Mais même en noir et blanc on comprend tout de suite ce qui est raconté à l’intérieur : des incendies, des tremblements de terre, et surtout des histoires horribles d’assassinats ou d’enlèvements. Dans France Soir, il y a moins de photos, mais il y a, tous les jours, du haut jusqu’au bas de la dernière page, Les aventures de Chéri­-Bibi, sur le côté droit, et Juliette de mon cœur, sur le côté gauche. Chéri-Bibi est bien affreux, comme il faut, avant de prendre la figure de Maxime du Touchais. Et Juliette est bien belle. Mais j’aime peut-être encore plus sa petite sœur, Ève. Elle est un peu folle, c’est sûr, et elle est trop jalouse de sa grande sœur. Mais elle est moins fière, elle ne refuse pas tous les amoureux. Peut-­être qu’un jour les bonnes religieuses du Perpétuel Secours me donneront assez d’argent pour que je puisse acheter France Soir tous les jours. Mais même sans acheter tous les numéros, je comprends quand même à peu près tout ce qui arrive à Chéri-Bibi, à la belle Juliette et à sa jolie petite sœur Ève.
 
Michel Arrivé, Un bel immeuble, Champ Vallon, 2010.
 
Le roman de Michel Arrivé est un romans, l’histoire de Joël Escrivant, marchand de voitures retraité et écrivain du dimanche qui voit son roman s’autodétruire au compteur statistique de son traitement de texte ; il était bien pourtant son Bel immeuble, plein de délicieux commérages de la cave au grenier – la littérature ne rend pas suffisamment justice aux commères ; plein aussi d’authentiques prétendants à l’écriture, comme cet adorable Bornichet du rez-de-chaussée, autre figure d’écrivain ; allez donc voir ce qu’il y a derrière, ces gens-là ont forcément quelque chose à cacher, ou quelque chose de caché.
PS : Et je découvre à l'instant une vraie critique d'Un bel immeuble par Philippe Didion, dans ses Notules dominicales n° 431 (à vendredi).



Commentaires

Oh mais comme cela semble savoureux! Les problèmes d'écriture m'enchantent, surtout lorsque le sujet est abordé par ceux qui n'en ont a priori pas!
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 30/01/2010 à 16h50
Savoureux, c'est le mot. Une belle image en abyme de l'écrivain, joliment dégradée, et ce que cache l'écriture. En plus c'est discrètement immoral, ça devrait te plaire !
Réponse de PhA le 30/01/2010 à 17h13
"N'avait-il pas seulement cru qu'il écrivait?"Il m'arrive de rêver que j'écris!
Merci de nous préciser que Un bel immeuble est un roman;o)
Dès qu'on utilise le Je, je crois que c'est du vécu! Quelle midinette;o)
Commentaire n°2 posté par Ambre le 30/01/2010 à 16h53
N'est-ce pas ? Non seulement c'est un roman, mais c'est un romans (enfin, c'est moi qui le dis).
Réponse de PhA le 30/01/2010 à 17h08
Attendre la suite du feuilleton le lendemain et avoir le coeur qui bat.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 31/01/2010 à 10h35
Et je vous assure que ce coeur-là en vaut la peine !
Réponse de PhA le 31/01/2010 à 11h06
Dès qu'on utilise le Je, je crois que c'est de la fiction ! Quelle potron-minette ;o)
Sinon Annocque, arrêtez d'emmerder Loïs, elle n'en peut mais.
Commentaire n°4 posté par Anna de Sandre le 31/01/2010 à 10h40
Impossible, Anna : je ne peux pas m'en empêcher. D'ailleurs je suis sûr que ce livre est écrit pour Loïs !
Réponse de PhA le 31/01/2010 à 11h09
Je vengerai Loïs, un jour, il le faudra bien.
Commentaire n°5 posté par Anna de Sandre le 31/01/2010 à 11h18
Pauvre de moi !
Réponse de PhA le 31/01/2010 à 12h47
Je précise Philippe, pour la critique de Un bel immeuble dans Notules, il faut aller jusqu'au DERNIER vendredi!
Commentaire n°6 posté par Ambre le 31/01/2010 à 15h11

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