lundi 25 janvier 2010

allez choir enfin



La lecture est cette histoire dont je suis le héros et même surtout l’Auteur, gardons la minuscule pour ces derniers devenus à leur tour simples personnages, juste retour des choses ; Balzac et ses comparses ne font plus les malins. La mienne a connu des hauts et des bas, je le disais l’autre jour, et même encore avant ; l’écriture bien sûr y est pour quelque chose, Beckett n’est pas innocent non plus dans cette affaire (c’est chez lui vous vous en doutez que Philœdipe a forcément trouvé de quoi faire son laïus de maîtrise) et quand plus tard de nouveau j’ai pu lire, c’est que débarrassé (croyais-je) de son influence j’étais enfin papa. Bref, contrat signé au printemps 2001, c’est non sans émotion et même appréhension que de nouveau je pénètre dans une librairie – c’était chez Legué à Chartres –, et feuillette dédaigneusement les premiers livres qui me tombent sous la main jusqu’à celui-ci. (Alors là vraiment il faut cliquer. Si, il faut.) Bref encore, c’est ce jour-là qu’Eric Chevillard, dont je n’avais jamais entendu parler (mais je n’avais entendu parler de personne, depuis longtemps j’étais ailleurs sans savoir où), est devenu un personnage de mon histoire de lecteur. Et non le moindre, car il a été le premier auteur contemporain à me faire sentir, snirfl, combien mon ignorance était nauséabonde, moi qui avais l’outrecuidance d’espérer des lecteurs (bon, c’est vrai, la publication, on m’y a un peu poussé, sinon…). Sa cuillère donc était si belle que j’embarquai l’argenterie, il faut dire que ce roman d’inaventures au héros absent (les Absences du Capitaine Cook, pour les paresseux de l’index) avait d’emblée tout pour me plaire. Non content de cette effraction dans ma vie pourtant confortable d’ex-lecteur repenti, voici qu’un an plus tard il récidive avec Du hérisson. C’était risqué, car je me suis tant roulé par terre en jouant avec celui-là, insaisissable peluche, que le coupable s’est retrouvé perché sur un vertigineux piédestal par mes soins érigé, chargé d’une mission quasi-prophétique aggravée par la filiation beckettienne avouée dans les Taupes, lisez donc Scalps ; bref ce gars-là était un inconscient : entre l’abîme sous ses pieds et le poids de sa charge, il ne savait pas ce qu’il risquait. Il lui fallait de larges épaules (je n’ai jamais eu l’occasion de les mesurer), était-ce un avantage pour conserver l’équilibre au sommet de son monument ? le Génie de la Bastille n’est pas si baraqué. De fait il a chancelé ; ma foi n’est pas inébranlable, c’est ce qui fait sa valeur. J’ai lu non sans plaisir le Vaillant petit tailleur, Oreille Rouge et Démolir Nisard ; je les aurais même volontiers trouvés très bons ; ils n’avaient qu’une tare à mes yeux : le nom de Chevillard écrit sur la couverture. De sa part, le livre refermé, j’attendais encore, plus, encore plus, j’avais faim ; un loup guette Chevillard au coin du bois : c’est moi. Et voici, il y a un peu plus d’un an, que disparut l’orang-outan ! A la place du grand primate roux, entre temps débarrassé du je dont il a pour l’instant fait le tour (c’était nécessaire, ce tour-là n’est pas si simple) par l’écriture quotidienne de l’Autofictif (interprétation toute personnelle : le je est si bien installé dans le rouleau du blog ; moi-même j’en abuse ici comme jamais dans un livre ; du blog, n’est-ce pas, je est le mot, le motif, le moteur !), apparaissait un Chevillard plus choral, témoin d’un monde posthume et déprimé, mon aruspice, mon prophète attendu : Ilinuk ! hurle-t-il aujourd’hui dans Choir, que je lis comme l’aggravation de Sans l’orang-outan, répondais-je l’autre soir à François Bon (qui lui, au moins, parle vraiment du livre de notre homme sans raconter sa vie) – et plus c’est grave, plus c’est grave de ne pas le lire. Il n’y a pas que moi qui le dis : lisez donc ce qu’en pensent Claro, Didier da Silva, puis allez choir enfin.
 
PS : Je comptais n’écrire ce billet que demain, et ne poster encore qu’un extrait ce soir, faute de temps ; l’élan m’a rattrapé, sale bête ; du coup j’ai fait la course avec, gagné ! c’est que je suis bien entraîné, et me voici avec en illustration un Paul Klee que je réservais à la page 240 de Choir ; celle-là vous la chercherez vous-même.


Commentaires

C'est le plus beau billet d'amour pour un écrivain, que celui que vous venez d'écrire.
Commentaire n°1 posté par Ambre le 25/01/2010 à 22h39
Vous avez raison : il ne va plus oser sortir de chez lui. (Mais il l'a bien mérité !)
Réponse de PhA le 25/01/2010 à 22h45
Superbe tout ce que vous nous livrez.Et le captain Chevillard , ce foutu temps va me manquer pour lire.
Commentaire n°2 posté par marie guegan le 25/01/2010 à 22h54
Mais non, vous dis-je ! Voyez : je n'avais pas le temps d'écrire ce billet ce soir ; et puis...
Réponse de PhA le 25/01/2010 à 22h58
(je veux bien vous croire). Je viens de lire le billet de Claro, comme un coup de poing!
Je pense à une chanson de Nougaro en vous lisant tous les deux :
Quatre boules de cuir....
...
Et je vais te faire voir qui des deux est champion;o)
Le champion pour moi c'est Annocque mais je ne suis pas objective hein!
Commentaire n°3 posté par Ambre le 25/01/2010 à 22h57
Je ne m'y frotterais pas ! Non, sérieusement ; lui, il parle du livre, c'est une vraie critique ; moi, je raconte ma vie, c'est beaucoup plus facile. Si j'avais voulu écrire une critique, j'y serais encore.
Réponse de PhA le 25/01/2010 à 23h02
Ah là vous m'agacez!
Vouiiiiiiiiiiiiiii lui il parle du livre et avec talent. Et vous vous parlez de l'oeuvre entière de l'écrivain et de ce Choir, l'apothéose, et aussi de vous. Vous qui êtes quoi?
Hein? Personne?
(et puis zut à la fin;o))
Commentaire n°4 posté par Ambre le 25/01/2010 à 23h13
(zut, j'aurai dû me mordre les doigts encore une fois avant de dire des c...ries)
(promis, je n'ai plus de doigts)
mais je viens de relire votre billet et je ne retire rien de ce que j'ai dit.
Commentaire n°5 posté par Ambre le 25/01/2010 à 23h23
Philippe, franchement, je reviendrai demain. Suis légèrement bizarre... vos champignos surement.
Commentaire n°6 posté par Depluloin le 26/01/2010 à 01h13
Forcément, à des heures pareilles. Vous êtes déjà demain, Depluloin !
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 10h13
Non, là, je suis demain. Justement, je voulais vous causer du "je". Sur le blog, j'ai pourtant essayé, le "il" et le "nous" sont mal perçus : l'on m'a pris pour un prétentieux.
Ce Choir doit valoir son prix puisque les plus hautes instances en parlent avec insistance...
Commentaire n°7 posté par Depluloin le 26/01/2010 à 10h17
D'ailleurs j'ai dit "je" pour simplifier, c'est plutôt une opposition singulier/collectif. En tout cas ce Chevillard-là est majeur, sans blague ; comme le précédent, d'ailleurs.
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 12h00
Je ne parle que peu de livres (hors "Liquide" récemment) car ils sont généralement déjà lus et interprétés par François Bon, la garantie pour sept ans.
Là, Chevillard est bien encadré. Je fais comme si je n'avais rien lu pour garder la surprise !
Commentaire n°8 posté par Dominique Hasselmann le 26/01/2010 à 11h29
Oh, on pourra toujours dire et écrire tout ce qu'on veut ; il nous surprendra toujours !
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 12h01
http://lewebpedagogique.com/philosophie-bac/le-je-change-tout-texte-de-kant/
Le problème du "Je" dans les romans c'est que le lecteur ne peut s'empêcher de penser "autobiographie" alors que, généralement, il s'agit "d'autofiction".
Le "Je" n'est véritablement authentique dans le Journal intime.
Pour en revenir à Chevillard, il a les oreilles qui sifflent aujourd'hui;o)
Choir bénéficie d’un excellent bouche à oreille : les dents arrachent les lobes.
Commentaire n°9 posté par Ambre le 26/01/2010 à 11h39
C'est encore une allusion à mes longues canines ? C'est vrai qu'elles sont pointues.
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 12h02
Et le "Commentaire autorisé sur l'état de squelette", l'avez-vous lu ?
(j'ai pas encore lu Choir, flûte !)
Commentaire n°10 posté par Anna de Sandre le 26/01/2010 à 13h01
Et non, pourtant il me fait bien envie depuis sa sortie. En fait, puisque j'ai la liste sous les yeux, je vois que je n'ai lu que onze Chevillard. Mais "onze", c'est un beau nombre. (Sans compter les deux Autofictif lus en direct sur le blog.)
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 13h29
Ambre, je suis un ardent défenseur du "je" (et le "je" de Beckett alors?) au risque en effet d'amener une confusion. En ce qui me concerne,  mon "je", mais chez beaucoup d'autres, est celui d'un personnage plus ou moins solitaire qui pense, se parle, s'interpelle, c'est un des vecteurs de la folie dans le texte. Certes, le "il" s'impose souvent... "Elle" a compris? Non parce que c'est un peu fumeux peut-être! Elle m'en excusera!
Commentaire n°11 posté par Depluloin le 26/01/2010 à 13h13
Pluplu, tu s'rais pas mon frère, vrai, ben... Non j'te l'dis pas, ça t'ferait trop plaisir !
Commentaire n°12 posté par Anna de Sandre le 26/01/2010 à 13h16
@ D., "Elle" a bien compris (=_=) et "sa" tête ne fume pas... encore.
Commentaire n°13 posté par Ambre le 26/01/2010 à 13h29
@ Anna : Ce procédé est odieux!! Je veux savoir sinon je vais tout casser chez ta gentille sœur (Frédaime?)
Commentaire n°14 posté par Depluloin le 26/01/2010 à 14h08
Le beau dessin de P.K... et puisqu'il s'agit de Choir, faisons-le avec classe et distinction.
Commentaire n°15 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 26/01/2010 à 14h38
Patatra !
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 14h56
Et bien voilà, je t'aurais dit... Kooff, koff, rhaaaaaaa, theûtheû, ahem ! (putain de toux grasse !)
Commentaire n°16 posté par Anna de Sandre le 26/01/2010 à 16h45
Une petite pastille ?
Réponse de PhA le 26/01/2010 à 17h09
Et ici, enfin, une interview de Eric Chevillard!
Commentaire n°17 posté par Ambre le 31/01/2010 à 22h16
En effet. Merci, Ambre !
Réponse de PhA le 01/02/2010 à 18h12

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