dimanche 10 janvier 2010

de saison

L’hiver était venu dans la nuit. En quelques heures, comme à l’accoutumée, le pays tout entier se trouva pétrifié par le gel, balayé par un vent sec et violent qui descendait des montagnes. Entre les maisons, le chemin détrempé se trouva changé en une rivière de glace bleue vive et des glaçons, gros comme des pieux, arrachés par le vent, s’y brisaient dans un éclat de métal.
Dans le haut du village, la Croix de Sépia, constellée d’une myriade d’aiguilles blanches, prenait l’aspect d’un sérac fantomatique ; devant chez Clara, la fontaine de bois, mal séchée, avait éclaté en un monceau d’échardes dures. De temps à autre, de gros choucas fuyant les cimes, saisis par le froid en plein vol, s’abattaient sur les toits comme des météorites.
L’un d’eux tomba et rebondit sur les tôles du café Ham.
 
***
 
Siméon s’éveilla en sursaut au bruit de ce pro­jectile.
Bien qu’il eût dormi tout habillé, et pour la première fois depuis son arrivée, dans des vête­ments secs, tels que l’avaient laissé sur son lit les douaniers, il était bleu de froid. Mais en même temps, il sentait toujours, au creux de l’estomac, la nappe de liquide brûlant qui continuait à bouillir et dont la brûlure irradiait dans son corps vers tous les organes vitaux. Sans doute – mais Siméon ne pouvait s’en rendre compte – sans doute cette gorgée d’alcool, prise à l’improviste, l’avait-elle sauvé de la gelure générale.
Il se leva et entreprit de faire quelques exer­cices pour tenter de se dégourdir les membres et de se réchauffer. Son pied droit lui faisait affreu­sement mal. Peut-être était-ce le froid qui ravivait la douleur. C’était au point que Siméon avait l’impression de souffrir moins à la plaie elle-­même qu’à l’orteil qui lui manquait : « Et com­ment, se disait-il, pourrait-on soigner un orteil que l’on n’a plus ? Je poserai la question au Croll. »
Dans sa chambre, l’air était si glacial que les mouvements qu’il faisait le refroidissaient davantage. Il se recoucha et resta pelotonné sous le sac de toile écrue qui lui servait de couverture. A peine exhalée, son haleine se condensait en petits nuages de givre qui retombaient tout autour de lui. Son lit en était déjà tout blanc, ainsi que les poils hirsutes de son visage. C’était comme s’il neigeait dans sa chambre. Il essaya de respirer moins. Il s’endormit au rythme des gros oiseaux qui, de temps à autre, se fracassaient sur les toits ou sur le sol gelé.
 
Maurice Pons, Les Saisons, deuxième partie, II ; Julliard, 1965 ; Christian Bourgois, 1975.
 
Une interview de Maurice Pons dans le Matricule des Anges.
(Moi, aujourd'hui, je me réchauffe ici !)



Commentaires

J'espère que personne ne passera à côté de l'interveiw et la présentation de cet auteur "petit maître du pathétisme...". Et dire que j'ai longtemps rêvé à ce moulin... Merci, Philippe!
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 10/01/2010 à 15h12
C'est un roman formidable, il faut le lire ! C'est assez inouï, parfois superbement répugnant, très drôle aussi ; et au fond, ça nous parle de littérature.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 16h12
L'hiver comme une fulgurante minéralisation glaciale et métallique du monde, avec le grand fracas sourd des oiseaux.
Commentaire n°2 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 10/01/2010 à 16h05
A voir et à entendre.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 16h17
Cà donne envie de le lire, vraiment et j'apprends qu'il était le traducteur de L'oiseau bariolé de Jerzy Kosinski qui m'avait marqué quand je l'avais lu... il y a très très longtemps.
Je comprends que le Chasse clou vous réchauffe! Vais plus rien avoir à dire moi;o)
Commentaire n°3 posté par Ambre le 10/01/2010 à 17h50
C'est vraiment un livre fort. Ce qui est inquiétant, c'est qu'il soit encore - relativement - si peu connu 45 ans après sa parution. Parfois on compte sur le temps pour rendre justice aux oeuvres... Si on ne l'aide pas un peu, le temps, il ne fait que les enfouir davantage.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 17h57
Etonnant que tu parles de ce livre maintenant. Lis ce papier de mon ami Marc, il en parle très longuement car il l'a lu chez l'auteur in extenso pendant 6 h. Je devais en être et au dernier moment j'ai déclaré forfait, je le regrette : http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/saint-malo-bamako/20100108/16912/gibraltar-punta-de-europa
Commentaire n°4 posté par Pascale le 10/01/2010 à 18h32
D'autant plus étonnant que je me souviens de ce projet : moi aussi j'ai pensé venir ! (j'avais déjà lu les Saisons), et je ne sais plus pourquoi je ne l'ai pas fait. C'est un superbe témoignage en tout cas, qui fait regretter d'avoir manqué ça.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 18h56
Mais je pense qu'il est connu Maurice Pons, et plus lu que vous ne le pensez (voir votre lien  Maurice Pons). C'est vrai qu'aujourd'hui, Edgar Morin qui doit avoir à peu près le même âge, a plus de notoriété (mais je ne l'ai jamais lu). Pons a sans doute la discrétion des grands? (Gracq). Quand j'étais sur le barricades (rires) on parlait de Pons! 
Commentaire n°5 posté par Ambre le 10/01/2010 à 18h32
Oui, il est connu et lu (d'où mon "relativement") ; mais pas assez. D'ailleurs j'ai fait une petite requête google sur les Saisons, j'ai trouvé qu'il n'y avait pas tant de résultats.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 18h45
Parce qu'on lit sans toujours écrire dessus, Philippe. Si on passait son temps à écrire sur ce qu'on aime, on n'aurait plus le temps d'aimer !
Commentaire n°6 posté par Pascale le 10/01/2010 à 18h48
Au boulot, l'amoureuse !
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 19h03
Les saisons Maurice Pons : 4400 résultats
Liquide Philippe Annocque : 1140!
Les saisons datent de 1945, et Liquide de 2009!!!!! Vous vous rendez-compte de TOUT ce que vous avez en quelques mois!
AARRRGGGRRR
@ Pascale : très joli le dernier com.
Commentaire n°7 posté par Ambre le 10/01/2010 à 18h58
C'est de 65 mais tout de même, ça confirme bien ce que je dis.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 19h05
Euh, je voulais dire en 1965 (en 1945 j'étais pas née, enfin je sais plus quand je suis née)
Commentaire n°8 posté par Ambre le 10/01/2010 à 19h05
Nos commentaires se sont croisés. C'est fréquent, quand on voyage dans le temps !
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 19h07
Oui, çà confirme mais les intellectuels connaissent Maurice Pons, autant que Sartre, j'en suis persuadée.
(je m'enfuis)
Commentaire n°9 posté par Ambre le 10/01/2010 à 19h09
Vous défendez les espèces menacées, vous avez raison.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 19h12
Les croisements il n'y a rien de plus extraordinaire : moi je suis croisée bretonne/gascon.
(cette fois je m'enfuifuis)
Commentaire n°10 posté par Ambre le 10/01/2010 à 19h13
Maurice Ponge? Mais il est extrêment connu allons!
Commentaire n°11 posté par Depluloin le 10/01/2010 à 19h58
Vous pourriez répétez de plus près ?
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 20h25
A propos de plus près, personne n'a félicité mon courage pour avoir osé photographier d'aussi près la mâchoire du dragon des glaces ; alors je me félicite moi-même.
Commentaire n°12 posté par PhA le 10/01/2010 à 20h55
Cette photo accompagne tellement bien le début du texte que c'était comme une évidence de la trouver sublime;o) Mais où l'avez-vous prise?
Depluloin : Francis Pons! Hu hu
Commentaire n°13 posté par Ambre le 10/01/2010 à 21h20
Exactement ici, dans ces parages (sous le charme penché).
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 21h31
Cette photo (ici) me fait penser à la couverture de Liquide. D'ailleurs la couverture de Liquide, la photo veux-je dire, on voit ce qu'elle représente quand on a le livre en mains; sur mon ordi çà restait abstrait. Comme quoi, FAUT ACHETER LIQUIDE.
Commentaire n°14 posté par Ambre le 10/01/2010 à 21h50
Je l'ai prise un peu comme un clin d'oeil, mais aussi - différence - parce qu'on se perd un peu entre ce qui est reflet et ce qui ne l'est pas.
Ce qui m'a séduit, quand mon éditeur m'a montré la photo qu'il pressentait pour Liquide, c'est que les reflets des branches m'évoquaient une sorte d'étrange écriture.
Réponse de PhA le 10/01/2010 à 22h28
1. vision : les mâchoires et les dents du Père Gel...
2. réflexion : merci d'aider le temps il en a bien besoin. 
Commentaire n°15 posté par albin le 11/01/2010 à 08h03
1. C'est vraiment à ça qu'il ressemble dans les Saisons.
2. J'aimerais bien...
Réponse de PhA le 11/01/2010 à 10h30
Super,   sans  doute  le plus bel ouvrage  de l'auteur,  dont j'ai  lu pas mal de choses...  une  atmosphère inquiétante,  à la recherche  d'un ailleurs  qui n'en est pas..
Sur mon blog aussi, je dépose  souvent  des choses qui m'intéressent, au niveau littéraire, en majorité  du domaine poétique
Commentaire n°16 posté par Ren le 03/10/2011 à 22h09
Oui, c'est vraiment une lecture très forte, qui reste.
Réponse de PhA le 05/10/2011 à 15h15

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