Les écrivains un jour arrêtent d’écrire, mais on peut toujours continuer à les lire. Monique Rivet nous a quittés mais elle est toujours là. J’ai quelques bons souvenirs, c’est l’occasion de les partager.
En 2005, je n’avais encore publié que deux livres. À l’occasion de la parution du deuxième, la Médiathèque Florian de Rambouillet (à l’époque La Lanterne n’existait pas encore) m’avait invité à présenter mon travail. C’était l’époque où l’on pouvait encore organiser des rencontres. Il y avait dans le public une dame au regard clair dont les questions m’avaient alerté par leur pertinence et avec qui j’avais bien discuté. Nous avions bien discuté mais elle ne m’avait pas « tout » dit : ce n’est que par un tiers que j’ai appris qu’elle avait de bonnes raisons de savoir de quoi elle parlait si bien, puisqu’elle avait elle-même publié plusieurs titres chez Flammarion puis Gallimard – dans les années 50 et 60. Je ne me suis pas gêné pour la questionner sur le sujet quand nous nous sommes rencontrés de nouveau. La vie, familiale, professionnelle, l’avait par la suite éloignée de la publication ; quand elle avait tenté de renouer avec, les contacts avaient disparu – or dans dans ce métier, pour que précisément ça en devienne un, les contacts sont indispensables. Son autre métier, c’était l’enseignement, dans le lycée même où mes propres élèves encore aujourd’hui vont en me quittant – autre point commun. Je sais que là aussi elle a laissé de beaux souvenirs. Nicole Garcia elle-même évoquait Monique Rivet, le professeur qui avait marqué sa vie ; c’était tout récemment, lors de l’hommage à Samuel Paty.
Elle m’avait offert une version auto-publiée du Cahier d’Alberto, à propos duquel, à la date du 26 décembre 2005, j’écrivais dans mon vieux Carnet vert « Plus forte impression encore : le Cahier d’Alberto, de Monique Rivet, qui n’a même pas d’existence officielle. Ou comment faire vivre un personnage qui, même pour le narrateur, n’est en fait qu’une fiction. Comment un tel texte peut-il ne pas avoir trouvé d’éditeur ? » Je m’en étais ouvert avec elle à notre rencontre suivante. Elle m’avait répondu qu’elle n’avait plus envie de prendre la peine de chercher un éditeur, et je savais trop bien combien cette peine est réelle pour ne pas la comprendre (c’était avant que moi-même je ne rencontre Quidam). L’édition, non ; mais la littérature, écrire. C’était se recentrer sur l’essentiel.
Et puis, quelques années plus tard, il y a eu le Glacis. Monique m’a raconté comment, voulant auto-publier encore une fois ce roman de jeunesse, que Flammarion en son temps lui avait refusé par frilosité politique (ce sont mes mots, pas les siens, mais c’est comme ça que j’interprète ses termes plus doux), elle était allée chez son imprimeur habituel, lequel, habitué à parcourir ces textes souvent indigents que les gens lui donnent à imprimer pour l’illusion d’avoir leur livre entre les mains, lui a fait remarquer que, quand même, c’était vraiment dommage qu’un éditeur ne s’en charge pas, afin que le livre rencontre son public ; d’ailleurs à trois cents mètres de là il y avait les éditions Métailié, pourquoi n’irait-elle pas leur proposer ? Trois cents mètres, la peine cette fois n’était pas grande, Monique y était allée, avait déposé son manuscrit entre les mains d’une dame pressée et moyennement aimable qui l’avait rappelée deux jours plus tard : c’était Anne-Marie Métailié en personne, elle était enthousiaste, d’autant plus que Sidi Bel Abbès, c’était sa jeunesse aussi. Le livre est paru, en plein cinquantenaire de la guerre d’Algérie, bien servi par son éditeur ; il a fait un beau succès, je me rappelle notamment un bel article de Philippe Lançon dans Libération, parmi plein d’autres : une belle histoire.
Quelque temps plus tard, Monique passe me voir au Salon du Livre de Paris où je signais sur le stand de Quidam. Je lui demande où elle en est du Cahier d’Alberto. Maintenant, le succès du Glacis devait permettre la publication du Cahier d’Alberto. Le Glacis est un très beau roman de jeunesse et le reflet sans concessions d’une époque, mais j’avoue que ma préférence va au Cahier d’Alberto qui, d’un point de vue littéraire, notamment par le jeu sur la fiction, me paraît encore supérieur. Je ne l’avais pas caché à Monique qui m’avait répondu que c’était aussi son avis (nous étions souvent du même avis, même sur les livres que nous n’avions pas écrits), mais qu’elle doutait fort que les éditions Métailié la suivent. En effet, elles le lui avaient refusé. Après son départ, je raconte son histoire à Pascal Arnaud, mon éditeur, non sans arrière-pensée : je sais que le Cahier d’Alberto a des chances de le séduire, il y a à mes yeux des affinités avec certains titres du catalogue, ceux de Jérôme Lafargue, notamment. Mais mes arrière-pensées, je les garde pour moi ; j’ai un éditeur qui fait ses propres choix tout seul, et c’est très bien. C’est donc lui qui me dit de lui demander de lui envoyer son manuscrit, et c’est ainsi que le Cahier d’Alberto a enfin connu une existence éditoriale officielle, chez Quidam. C’est difficile de vendre un roman sur ses seules qualités littéraires, fussent-elles largement au-dessus de ce qui se publie couramment (ça n’engage que moi et je le dis comme je le pense) ; le livre n’a pas à ce jour connu le succès que nous espérions. Mais bon, s’il faut bien malheureusement qu’au bout de la vie les personnes nous quittent, les livres, eux, restent bien vivants.
Merci Monique, je n’ai pas fini de te lire.
Merci à vous.Il y a des chasses à l'éditeur qui se terminent bien.Pour Monique Rivet et pour le lecteur bien sûr.
RépondreSupprimerUn grand, grand texte que "Le cahier d'Alberto".