C’est Quidam qui édite le
Cahier d’Alberto de Monique Rivet, et de figurer au même catalogue est déjà
un plaisir. Monique Rivet est l’auteur de quatre romans publiés dans deux vies
littéraires différentes que quarante-cinq années séparent, je vous en avais
parlé à propos de la parution du Glacis, en 2012, cliquez donc pour vous rappeler. Quarante-cinq années d’écriture quand même, à n’en pas douter, car si
le Glacis est un très beau roman de jeunesse, le Cahier d’Alberto
est à l’évidence l’œuvre de la maturité littéraire.
C’est l’histoire d’un lieu, on
pourrait dire – on peut le dire puisque Mallarmé en exergue nous y
invite : RIEN / N’AURA EU LIEU / QUE LE LIEU. Serait-ce aussi l’histoire
d’une histoire qui n’aurait pas eu lieu ?
Céline et Sandro sont un jeune
couple charmant. On aurait envie de les avoir comme amis. En plus ils viennent
d’emménager dans une vieille maison méridionale et de caractère, « dans la
partie ancienne de Saint-Julien, à l’aplomb de la butte qui porte les ruines du
château ». Une ancienne maison de vigneron. On y passerait volontiers des
vacances, Céline et Sandro ont décidé d’y faire carrément leur vie – au moins
pour un temps.
Des vies, la maison en a connu
d’autres. Un voisin, Monsieur Leleu, le père Leleu plutôt, est là pour leur en
parler. Il a connu les précédents occupants. Une famille italienne, qui vivait
à l’écart, les deux frères surtout – la sœur a quand même été sa collègue à la
poste. C’est comme ça que Monsieur Leleu a eu connaissance du « cahier
d’Alberto ».
Céline et Sandro sont un jeune
couple charmant, mais Sandro est traducteur professionnel, de l’italien. Traduttore,
traditore, dit-on – en italien, justement. Par ailleurs, Sandro est aussi le
narrateur du Cahier d’Alberto, le roman de Monique Rivet. De là à ce
qu’il se prenne presque pour celui du cahier d’Alberto, ce cahier tenu par le
frère aîné de la mystérieuse famille italienne autrefois propriétaire de la
maison qui est aujourd’hui la sienne, ce cahier perdu dont on n’a connaissance
que par le récit qu’en fait le père Leleu, et qui nous est donc ensuite
rapporté par Sandro… On comprendra que le sujet du roman est ce que
j’appellerais volontiers un sujet à caution.
On l’aura compris : il y a
dans ce roman plusieurs récits écrits les uns par-dessus les autres, dont le
seul immédiatement lisible est le Cahier d’Alberto de Monique Rivet,
lequel se présente comme un palimpseste du cahier écrit par Alberto, qui nous
renvoie à une autre époque, celle de l’Occupation et de la période qui a suivi.
Mais il y a un autre récit à lire en palimpseste encore, c’est celui que, tout
en écoutant le Père Leleu, Sandro est en train de traduire, puisqu’il est traducteur, non sans y
commettre quelques infidélités que lui signale d’abord son éditeur. Des
infidélités en formes de lapsus révélateurs qui, par la contamination du cahier
d’Alberto, vont littéralement phagocyter la traduction de Sandro, laquelle
devient un nouveau texte qu’il garde pour lui et se met à appeler carrément le
« Monstre ». Un « Monstre » qui nous révèlera les secrets
d’une autre histoire encore – qu’évidemment que je garderai secrète.
Il y a donc dans le Cahier
d’Alberto une mise en abyme de la fiction, chacun des personnages, Sandro,
le père Leleu, Alberto lui-même étant susceptibles d’avoir imprimé dans leurs
récits leurs propres fictions. C’est pourquoi je ne suis pas surpris que
Quidam, l’éditeur notamment de Jérôme Lafargue, ait été séduit par ce texte – à
moins que je ne projette sur ma lecture mes propres fictions ; car la
lecture, après tout, c’est encore de la fiction.
Guillaume Contré a consacré au Cahier
d’Alberto un article éclairant pour le Matricule des Anges, on peut
aussi le lire sur son blog.
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