La lecture des romans de Jérôme
Lafargue est un rêve sans fin.
On se souvient peut-être que le
mien a commencé sur la Nationale 10, tandis que j’allais faire reproduire le
manuscrit de Liquide qui n’avait pas encore d’éditeur et qu’aux Mardis
Littéraires de Pascale Casanova on présentait L’Ami Butler. (Mardis
qui n’existent plus tandis que France Culture est toujours en grève et que
demain sur la même route j’en serai réduit à Radio Nostalgie.) Après la lecture
duquel j’ai décidé de proposer mon projet à Quidam – avec qui nous avons
rendez-vous encore à l’automne prochain, nous en reparlerons. Car la Nationale
10, si on la continue un peu, nous amène tout droit à l’Atlantique, celui qui
fait des rouleaux et la joie des surfeurs et qui, au moins depuis Dans les ombres sylvestres et l’Année de l’hippocampe, avec toute cette forêt
derrière les dunes, fait bien plus que de servir de décor aux romans de Jérôme
Lafargue.
Et plus encore En
territoire Auriaba – car tel est le titre de celui qui vient de
paraître. Vous me direz ce que vous en pensez mais moi, ce titre, quand je l’ai
découvert, ce n’est pas du tout dans les Landes qu’il m’a transporté.
L’Atlantique d’un coup franchi, je me voyais traverser des étendues sauvages
habitées par quelque tribu indienne inconnue. Eh bien c’est peut-être le cas
aussi, car chez Lafargue les lieux se superposent les uns aux autres sans
contradiction au gré d’une sorte de cryptogéographie (outre en effet une
Amérique d’autrefois la côte marocaine aussi est convoquée), comme les générations
aussi se superposent aux générations. Les Auriaba y sont des hommes en effet,
au patronyme d’une origine douteuse ou cryptée là encore, toute une généalogie
d’hommes qui sur cent soixante années se sont reproduits presque sans femme
comme s’ils étaient quasi le même – du moins leur initiale est la même ; et
qui vivent là, entre la forêt qu’ils arpentent et l’océan où ils surfent quand
ils ne courent pas les bois. Et qui cherchent. Archibald, le narrateur,
cherche. Un récit alterné nous le montre d’ailleurs en compagnie de son ami La
Serpe, à moitié indien bien qu’on soit dans nos forêts landaises à nous – mais
le sont-elles ? c’est plutôt une mythologie que l’on traverse –, en pleine
traque, dont on ne révèlera pas l’objet, tandis que son neveu Aupwean, un garçon
de dix ans qui vient de perdre son père à l’autre bout du monde, cherche aussi.
Savent-ils quoi ? Quel rôle jouent Arthur Rimbaud et Alphonse Allais dans
cette histoire ?
Voilà que je me prends à imiter
les quatrièmes de couverture des romans de notre enfance. C’est qu’à mes yeux
(je vais encore dire je car ceci est un blog et je ne sépare pas mes
lectures de mon propre travail) Jerôme Lafargue incarne merveilleusement
l’écrivain que je ne suis pas. Un conteur – Archibald Auriaba lui-même est un
merveilleux conteur, ce n’est pas Aupwean qui dira le contraire – qui me
procure un plaisir comparable à celui qu’éprouvait autrefois le lecteur de Jack
London que pourtant je ne suis plus, simplement parce que le temps a passé. Et
c’est bien là que je sens quelque chose de vraiment étonnant. Lafargue joue
avec le lecteur que nous avons été en nous proposant une aventure (car n’ayons
pas peur des mots : j’entre avec lui en aventure comme adolescent je le
faisais avec Hugo Pratt) tout en superposant à cette aventure une sorte de
verre magique qui tient du rêve et nous fait délicieusement douter de ce qu’on
lit, parce qu’on est déjà un vieux lecteur roué qui ne veut pas se croire dupe.
La condition d’une nouvelle cure de jouvence.
Emoi rime avec mémoire.
RépondreSupprimerBel avion !
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