Une
telle mer pourrait, en se retirant, nettoyer mon vomi, mais ce n’est
pas gagné aujourd’hui, les vagues atteignent à peine
les dalots, et pourtant il roule, à présent : juste assez pour
raviver la nausée, le roulis, oui, je n’arrive pas à m’y faire,
aaaaoaoagh, nooon, splash ! spasme monstrueux, mais
décevant en termes de résultat, juste ce truc incolore, mon
diaphragme ou dieu sait quoi me fait hurler de douleur à chaque fois,
rien qu’au toucher, ça me fait mal, qui plus est. Il faudrait que
je bouge, que j’aille gerber par-dessus la lisse, c’est le minimum
que je puisse faire, allez, une dernière gerbe et je pourrais
redescendre, dormir, ou m’allonger tout simplement, même si je
viens juste de me lever, alors descendons, peu importe si je marche
sur le vomi, sur mon propre dégueulis, en travers du passage, sur la
marche, il devrait y avoir un terme marin pour ça, avec
cette corde qui pour je ne sais quelle raison pend mollement en
travers de la porte, mais non, retour à la case départ, sur le pont,
accroché à la lisse, dure et froide, en acier noir et rouillé,
dégageant cette odeur de métal corrodé par l’eau de mer qui,
mélangée à celle du diesel, rappelle cette odeur particulière à un
bateau, celle que j’avais, la toute première fois, associée à la
nausée et au mal de mer lors de ma traversée jusqu’aux îles Scilly.
Enfin il me semble, j’associe cette odeur à celle de l’acier corrodé par
l’eau de mer, mais peut-être qu’elle n’a pas d’odeur,
cette action chimique, j’en sais rien, comment pourrais-je le
savoir, j’étais… la dernière fois, aaaaahh ! Pas si pire, cette fois,
non, torturé comme je le suis par les spasmes, je
m’accroche toujours aussi désespérément à la lisse, finalement, ce
n’est pas vrai ce que les gens disent, plutôt mourir que d’avoir le mal
de mer, non, ce n’est pas vrai. Bon, ça suffit. Je
descends – oh, voilà qu’il tangue à. présent, alors qu’il fend cette
grosse mer, cette haute mer déchaînée, alors que la bande de terre
verte n’est plus qu’une ligne grise à l’horizon, ah,
descends, pose-toi, repose-toi, repos.
Vert
. . . . . vert . . . . . vert, la pute en vert . . . . . pute en vert,
pute en vert . . . . . Ce doit être . . Non .
. trop douloureux, impossible d’y revenir . . . . . Il le faut. . . .
. . . . . Je l’avais ramassée dans un pub, j’avais fait tout le chemin
jusqu à ma banque pendant ma pause déjeuner pour
retirer un peu d’argent . . J’étais retourné au pub . . . . .
Sordide ! . . Elle portait une sorte de béret vert et un haut vert, le
l’ai rencontrée dans ce pub et l’ai ramenée à ma piaule,
après, en début d’après-midi, et elle avait voulu que j’allume le
chauffage et . . . . . . . . J’étais au plus bas à cette époque. . . Je
me cherche des excuses, mais en même temps,
personne n’en saura jamais rien . . . . . sauf Terry, j’ai éprouvé
le besoin d’en parler à quelqu’un, quelqu’un qui savait à quel point
j’étais tombé dans le fond. . . Alors j’ai allumé le
chauffage, elle s’est déshabillée, ne gardant que son pull et elle
restée plantée là, frissonnante, dos tourné, le cul à l’air devant le
chauffage pendant que je me déshabillais . . . et j’ai . .
j’ai pas . . . . . . . . pu . . . . . . . .bander . . . . . . . Quel
rapport ? A quoi bon revenir sur un événement aussi douloureux ? . . . .
. Je savais que ça pouvait m’arriver un
jour, je savais que ce n’était pas la chose à faire, mais
finalement, mon corps n’a fait qu’exprimer mon état, oh, ça ne veut pas
dire qu’il n’a pas eu quelques velléités, qu’une certaine
turgescence n’a pas augmenté son volume habituel, car gonflement il y
a bien eu, assez flasque certes, mais il a refusé de se dresser
davantage, rendant impossible toute pénétration, oui, mais ce
n’est pas tout à fait juste, car pénétration il y a bien eu, une
fois, ou deux peut-être, mais mes tentatives d’établir un mouvement
régulier se sont soldées par un dérapage non contrôlé, suivi
d'une expulsion et d’une absence totale de plaisir, pendant ce
temps, elle insistait pour en finir et se tirer au plus vite car elle
n’aimait pas faire ça chez les autres, et elle n’arrêtait pas
de me dire, Alors, on le tire ce coup. . . . . . . . . Et j’ai pas
pu. Et ses pieds, ses pieds sales qui avaient souillé mes draps, je l’ai
remarqué tout de suite après, et tout de suite après,
je les ai retournés car c’était pas le jour de la lessive. . . . . .
Tout en voulant se tirer au plus vite, elle a tout de même fait preuve
d’un certain professionnalisme, a tenu à m’en donner
pour mes . . deux livres, il me semble, elle s’est donc mise à
travailler mon membre flasque à la main jusqu’à ce que le bout du
préservatif fourni par ses soins s’emplisse d’un liquide opaque. .
. Je n’ai pas pris beaucoup de plaisir, je m’en souviens, de toute
évidence, étant donné les circonstances. . . . . . Ensuite elle a enfilé
ses vêtements sur sa petite carcasse crasseuse. . . . .
. . . Ah, ça fait du bien d’évacuer toute cette histoire ! Ça fait
longtemps que je m’interdisais de penser à la pute en vert, depuis que
Terry avait remarqué l’affaissement de ma paupière,
peut-être, depuis qu’il m'a fait remarquer le tressautement, ça fait
un an à présent, je touchais le fond à cette époque, et ça s’est pas
arrangé par la suite, mais j’ai plus jamais essayé ça,
par peur d’un autre échec peut-être, non, sûrement parce que je sais
que ce n’est pas une solution, je le savais avant même d’essayer, mais
maintenant j’en suis sûr, j’en suis convaincu, c’est
une histoire tellement banale, tellement commune, après Daedalus,
mais il faut du temps pour apprendre, tellement de temps ! Ah. . .
B. S. Johnson, Chalut, Quidam éditeur 2007, p. 169-171.
Tout ce qui ressort de la mer, du ventre et de la mémoire. Et par le hublot droit, en bas à droite de ce blog, bien d'autres
extraits de B. S. Johnson.
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