vendredi 30 août 2013

tout ce qui ressort


Une telle mer pourrait, en se retirant, nettoyer mon vomi, mais ce n’est pas gagné aujourd’hui, les vagues atteignent à peine les dalots, et pourtant il roule, à présent : juste assez pour raviver la nausée, le roulis, oui, je n’arrive pas à m’y faire, aaaaoaoagh, nooon, splash ! spasme monstrueux, mais décevant en termes de résultat, juste ce truc incolore, mon diaphragme ou dieu sait quoi me fait hurler de douleur à chaque fois, rien qu’au toucher, ça me fait mal, qui plus est. Il faudrait que je bouge, que j’aille gerber par-dessus la lisse, c’est le minimum que je puisse faire, allez, une dernière gerbe et je pourrais redescendre, dormir, ou m’allonger tout simplement, même si je viens juste de me lever, alors descendons, peu importe si je marche sur le vomi, sur mon propre dégueulis, en travers du passage, sur la marche, il devrait y avoir un terme marin pour ça, avec cette corde qui pour je ne sais quelle raison pend mollement en travers de la porte, mais non, retour à la case départ, sur le pont, accroché à la lisse, dure et froide, en acier noir et rouillé, dégageant cette odeur de métal corrodé par l’eau de mer qui, mélangée à celle du diesel, rappelle cette odeur particulière à un bateau, celle que j’avais, la toute première fois, associée à la nausée et au mal de mer lors de ma traversée jusqu’aux îles Scilly. Enfin il me semble, j’associe cette odeur à celle de l’acier corrodé par l’eau de mer, mais peut-être qu’elle n’a pas d’odeur, cette action chimique, j’en sais rien, comment pourrais-je le savoir, j’étais… la dernière fois, aaaaahh ! Pas si pire, cette fois, non, torturé comme je le suis par les spasmes, je m’accroche toujours aussi désespérément à la lisse, finalement, ce n’est pas vrai ce que les gens disent, plutôt mourir que d’avoir le mal de mer, non, ce n’est pas vrai. Bon, ça suffit. Je descends – oh, voilà qu’il tangue à. présent, alors qu’il fend cette grosse mer, cette haute mer déchaînée, alors que la bande de terre verte n’est plus qu’une ligne grise à l’horizon, ah, descends, pose-toi, repose-toi, repos.
 
 
 
Vert . . . . . vert . . . . . vert, la pute en vert . . . . . pute en vert, pute en vert . . . . . Ce doit être . .  Non . . trop douloureux, impossible d’y revenir . . . . . Il le faut. . . . . . . . . Je l’avais ramassée dans un pub, j’avais fait tout le chemin jusqu à ma banque pendant ma pause déjeuner pour retirer un peu d’argent . . J’étais retourné au pub . . . . . Sordide ! . . Elle portait une sorte de béret vert et un haut vert, le l’ai rencontrée dans ce pub et l’ai ramenée à ma piaule, après, en début d’après-midi, et elle avait voulu que j’allume le chauffage et . . . . . . . .  J’étais au plus bas à cette époque. . . Je me cherche des excuses, mais en même temps, personne n’en saura jamais rien . . . . . sauf Terry, j’ai éprouvé le besoin d’en parler à quelqu’un, quelqu’un qui savait à quel point j’étais tombé dans le fond. . . Alors j’ai allumé le chauffage, elle s’est déshabillée, ne gardant que son pull et elle restée plantée là, frissonnante, dos tourné, le cul à l’air devant le chauffage pendant que je me déshabillais . . . et j’ai . . j’ai pas . . . . . . . . pu . . . . . . . .bander . . . . . . . Quel rapport ? A quoi bon revenir sur un événement aussi douloureux ? . . . . . Je savais que ça pouvait m’arriver un jour, je savais que ce n’était pas la chose à faire, mais finalement, mon corps n’a fait qu’exprimer mon état, oh, ça ne veut pas dire qu’il n’a pas eu quelques velléités, qu’une certaine turgescence n’a pas augmenté son volume habituel, car gonflement il y a bien eu, assez flasque certes, mais il a refusé de se dresser davantage, rendant impossible toute pénétration, oui, mais ce n’est pas tout à fait juste, car pénétration il y a bien eu, une fois, ou deux peut-être, mais mes tentatives d’établir un mouvement régulier se sont soldées par un dérapage non contrôlé, suivi d'une expulsion et d’une absence totale de plaisir, pendant ce temps, elle insistait pour en finir et se tirer au plus vite car elle n’aimait pas faire ça chez les autres, et elle n’arrêtait pas de me dire, Alors, on le tire ce coup. . . . . . . . . Et j’ai pas pu. Et ses pieds, ses pieds sales qui avaient souillé mes draps, je l’ai remarqué tout de suite après, et tout de suite après, je les ai retournés car c’était pas le jour de la lessive. . . . . . Tout en voulant se tirer au plus vite, elle a tout de même fait preuve d’un certain professionnalisme, a tenu à m’en donner pour mes . . deux livres, il me semble, elle s’est donc mise à travailler mon membre flasque à la main jusqu’à ce que le bout du préservatif fourni par ses soins s’emplisse d’un liquide opaque. . . Je n’ai pas pris beaucoup de plaisir, je m’en souviens, de toute évidence, étant donné les circonstances. . . . . . Ensuite elle a enfilé ses vêtements sur sa petite carcasse crasseuse. . . . . . . . Ah, ça fait du bien d’évacuer toute cette histoire ! Ça fait longtemps que je m’interdisais de penser à la pute en vert, depuis que Terry avait remarqué l’affaissement de ma paupière, peut-être, depuis qu’il m'a fait remarquer le tressautement, ça fait un an à présent, je touchais le fond à cette époque, et ça s’est pas arrangé par la suite, mais j’ai plus jamais essayé ça, par peur d’un autre échec peut-être, non, sûrement parce que je sais que ce n’est pas une solution, je le savais avant même d’essayer, mais maintenant j’en suis sûr, j’en suis convaincu, c’est une histoire tellement banale, tellement commune, après Daedalus, mais il faut du temps pour apprendre, tellement de temps ! Ah. . .
 
B. S. Johnson, Chalut, Quidam éditeur 2007, p. 169-171.
 
Tout ce qui ressort de la mer, du ventre et de la mémoire. Et par le hublot droit, en bas à droite de ce blog, bien d'autres extraits de B. S. Johnson.
 
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