mercredi 21 août 2013

une rencontre

Le troisième jour, vers la fin de la fête, une heure avant le jour, fatigué, je quitte l’orchestre de but en blanc pour me retirer, quand en descendant l’escalier je remarque un sénateur en robe rouge qui allait monter dans sa gondole, et qui, en tirant son mouchoir de sa poche, laisse tomber une lettre. Je la ramasse en toute hâte, et rejoignant ce seigneur au moment où il descendait les degrés, je la lui remets. Il la prend en me remerciant et me demande où je demeurais. Je le lui dis, et il m’oblige à monter dans sa gondole, voulant absolument me mettre chez moi. J’accepte avec reconnaissance et je me place sur la banquette à côté de lui. (…)
Ce M. de Bragadin était célèbre dans Venise tant par son éloquence, ses grands talents comme homme d’État, que par les aventures galantes qui avaient signalé sa bruyante jeunesse. Il avait fait des folies pour des femmes, et plus d’une beauté en avait fait pour lui. Il avait beaucoup joué et beaucoup perdu, et son frère était son plus cruel ennemi, parce qu’il s’était infatué de l’idée qu’il avait voulu l’empoisonner. Il l’avait accusé de ce crime au conseil des Dix qui, huit mois après et à la suite d’une profonde investigation, le déclara innocent à l’unanimité ; mais cette éclatante réparation ne fit point revenir son frère de ses préventions. Cet innocent opprimé par un frère injuste qui lui ravissait la moitié de son revenu, vivait en aimable philosophe au sein de l’amitié. Il avait deux amis affectionnés, ceux qui étaient près de lui : l’un était de la famille Dandolo, l’autre de celle de Barbaro, tous les deux honnêtes et aimables comme lui. M. Bragadin était beau, savant, facétieux et du caractère le plus doux ; il n’avait alors que cinquante ans.
 
Casanova, Mémoires.
 
Deux promenades se croisent, l’une de lignes noir sur blanc, l’autre de canaux et de ruelles. Au coin de l’une d’elles, une rencontre.

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Commentaires

J'ai lu et relu ces Mémoires. J'ai adoré cette écriture si lumineuse et si fluide qu'on reconnaît dès les premières lignes. Mais je n'ai pas eu la chance de me promener à la rencontre de Casanova dans les rues de Venise (je cherchais plutôt Aschenbach). Vous me donnez l'envie d'y retourner.
Commentaire n°1 posté par Michèle le 22/08/2013 à 08h26
Casanova, Aschenbach, la vie, la mort.
Réponse de PhA le 23/08/2013 à 11h25
Je n'y avais pas pensé mais comme vous avez raison. Des lectures qui correspondent à des périodes précises pour moi.
Pour l'anecdote : mon plaisir de lire ces Mémoires était accru par l'édition que je tenais en main : une édition très belle de 1843, complète, en quatre volumes, trouvée par hasard chez un démolisseur de maisons. Les Mémoires avaient été abandonnés - avec tant d'autres livres - à la cave. J'ai tout récupéré pour une somme dérisoire.
Commentaire n°2 posté par Michèle le 23/08/2013 à 12h38
Les démolisseurs de maisons. Il y a des livres qui ont une histoire avant même qu'on les ouvre.
Réponse de PhA le 25/08/2013 à 13h54

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