DIMANCHE 20 NOVEMBRE
Ecoute…
suppose que l’histoire commence ainsi : le cousin de Sarah est retardé
de deux heures en plein milieu de son
voyage… bloqué dans la ville où lui et Sarah sont nés… bloqué à
l’aéroport… de nombreuses années après l’affreuse guerre qui a si
profondément marqué les cousins quand ils étaient enfants… oui,
suppose… cela lui donnerait le temps de penser… le temps de se
préparer pour les retrouvailles en terre promise après des années de
séparation… ça fait trente-cinq ans que les deux cousins ne se
sont pas vus… oui, suppose… puis, quand aura pris fin le combat avec
les mots, je me retirerai pour regarder les mensonges s’installer et
donner forme à une vérité, ignoblement obtenue de haute
lutte, en surface du papier
Voici
comme je vois cette histoire… ses grandes lignes… sa géographie. D’un
côté, une terre de fausse représentation où le
cousin de Sarah vit depuis trente-cinq ans. De l’autre, une terre de
fausses promesses, un morceau de désert plein de mirages, où Sarah vit
son propre exil depuis le même nombre d’années. Et,
entre les deux, comme mis entre parenthèses, le pays où les deux
cousins sont nés et où s’est commise une impardonnable atrocité durant
la guerre. Cet endroit restera encre crochets. Il se
profilera à jamais au plus profond du passé des cousins. Après la
guerre ils sont partis. Lui vers l’ouest, Sarah vers l’est.
Faut-il
donner un nom à ce cousin ? Un nom, c’est si encombrant, si réductif.
Ça limite un être à l’accident de sa
naissance, ça lui impose une identité civique. Peut-être que pour
l’instant on peut simplement dire le cousin de Sarah. Oui, c’est ça, LE
COUSIN DE SARAH. Même si plus tard, son nom à elle aussi,
il faudra l’effacer.
Raymond Federman, A qui de droit, Al dante, 2006, p. 11-12.
Voilà, c’est le début d’A qui de droit.
Ce qu’il y a de bien avec les écrivains, c’est que même quand ils sont
morts il
nous reste des livres d’eux qu’on n’a pas encore lus, et que même
quand on les a tous lus on pourra toujours les relire, ce sera forcément
autre chose. Là quand c’est moi qui le lis forcément je
réagis à « Un nom… ça limite un être à l’accident de sa naissance »,
et puis aussi comme en fait je ne le commence pas vraiment, ce livre,
il y a parfois un peu de différé sur ce blog
et en fait je l’ai déjà terminé, il y a aussi « regarder les
mensonges s’installer et donner forme à une vérité » parce que ce matin
j’ai ouvert Chalut de BS Johnson, et vous
savez comme lui aussi se pose aussi (avec des réponses différentes)
la question du mensonge dans l’écriture, ou bien peut-être que vous ne
le savez pas, peut-être qu’il vous reste tout BS Johnson
et tout Federman à découvrir, sacrés veinards que vous êtes*.
* Auquel cas vous pouvez regarder en bas à droite, par le hublot droit, et cliquer au hasard sur tous les liens Federman et
Johnson pour vous mettre en appétit.
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