La collection
Des bandes magnétiques, des négatifs : Gray ne fut pas surpris. Au contraire, il s’estimait encouragé. Le rédacteur du
Bilan provisionnel du sous-comité des archivistes tenait
ces données du relativement célèbre professeur Wazski (fils du chef
d’orchestre Warski) qui enseignait, dans une grande
université américaine, cette discipline bâtarde qu’est l’histoire de
l’art. Il avait évoqué, lors d’une conversation dont ne subsistaient
que ces quelques notes prises hâtivement sur du papier
bleuâtre, les circonstances thermiques de la collection (en devras
Celsius d’abord, ce qui suggérait qu’il tenait ces informations d’un
Européen). Pas une fois il n’aborda la question du contenu.
Tout indiquait néanmoins que le professeur s’était intéressé de près
à. la collection. On prétendait qu’il avait eu, à une époque,
l’intention d’y consacrer un article, devenu ensuite un projet
de livre (ou était-ce l’inverse – un projet de livre dégradé en
article, on ne savait plus). Il en suivait les migrations, qu’il
répertoriait dans une manière d’éphéméride. Peut-être même y
avait-il eu accès.
Un jour, il l’avait, devant témoin, appelée d’un autre nom que celui qu’on lui donnait communément.
– Un autre nom ? Quel autre nom ?
– Le professeur Warski a quitté l’université sans se retourner, fut l’étrange réponse qui lui fut faite.
– Mais il s’agit bien de la collection Castiglioni ? s’enquit Gray, craignant de lâcher la proie pour l’ombre.
– Je crois. On n’est jamais sûr, vous savez. Peut-être était-ce le titre qu’il comptait donner à ses travaux. Peut-être était-ce
un lapsus.
– Quel autre nom ?
– La collection Eurydice, admit le rédacteur du bout des lèvres.
Jakuta Alikavazovic, La blonde et le bunker, p. 71-72, L’Olivier, 2012.
La menace de l’inexistence est un beau sujet érotique. (J’aime les romans quand ils racontent autre chose que ce qu’ils
disent.)
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