Avant
d’être pris à l’essai par le boulanger de la grand-rue, il s’était
lancé dans un projet assez fumeux – l’adolescence a de
ces rêves comptables, qui souvent s’égarent dans des délires
d’exhaustivité. Il voulut calculer le poids de Jésus à l’heure de la
crucifixion et le convertir en hosties. Puisque le Fils de Dieu
se trouvait incarné dans le pain liturgique, moléculairement présent
bien qu’absent dans sa totalité, Antoine décida d’accumuler son
équivalent en pain azyme, se disant sans doute qu’une
eucharistie à rebours était possible. Dérobant à chaque office deux
ou trois pastilles, les cachant au creux d’une poche cousue dans la
doublure de sa chasuble, il entreposait son butin dans une
boîte en carton qu’il rangeait sous son lit. Mais le pactole
semblait ne jamais croître. Il ignorait en fait si même des milliers
d’hosties suffiraient. Certaines étaient blanches, frappées de
rien moins que du sceau de l’Invisible. D’autres, curieusement
dorées, auraient mérité de tinter dès que brassées. Si leur diamètre les
apparentait à des sous anciens, leur pâleur évoquait des
paupières obstinément closes.
Antoine
capitula. Il lui aurait fallu plus de vingt mille pastilles pour
espérer réunir de quoi recommencer charnellement le
divin poids welter et, à supposer qu’il pût en dérober
quotidiennement deux ou trois sans que le curé s’en aperçoive, cela
signifiait au bas mot plusieurs années de larcin, en vérité un vain
chapardage car les hosties, bien que consacrées, terniraient, se
dessècheraient, perdraient de leur masse, de leur pertinence, le miracle
reculerait, le Nazaréen s’étiolerait et jamais du tombeau
des siècles Il ne ressortirait, même rampant, malingre, incomplet,
encore plus seul et abandonné par son Père que ne l’était Antoine.
Claro, Tous les diamants du ciel, p.
23-24, Actes sud, 2012.
Tout
chaud sorti du four stellaire de Claro, un vrai-faux roman d’espionnage
sur fond d’acide et de sixties, aux allures de
fresque baroque, dont les protagonistes agissent moins qu’ils ne
sont agis, jusqu’à disparaître. Les Parisiens pourront l’écouter
vendredi prochain, à la librairie Atout-Livre (203 bis avenue
Daumesnil dans le XIIe).
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