samedi 29 septembre 2012

François Bon : Autobiographie de nos objets


J’avais prévu de citer un passage et puis ce billet est bien assez long comme ça. J’avais choisi le passage sur les photos de classe. Pourquoi ce passage-là ? Parce que c’est la saison. Dans une autre vie je suis professeur, les photos de classe ont été prises, les élèves ne vont pas tarder à les recevoir, les 3e n’ont pas encore fait de dictée, l’autobiographie est à leur programme, pourquoi pas un extrait de ce passage-ci le jour où ils la recevront, peut-être qu’ils s’en souviendront plus tard en retombant sur cette photo de leur classe, photo de classe en abyme.
Dans l’Autobiographie des objets de François Bon, il y a comme ça quelques objets qui sont communs à tous. Et d’autres pas du tout. Et même certains dont je ne sais même pas vraiment ce que c’est. Les objets étaient là, leur présence s’imposait à nous, ont participé à déterminer ce que nous sommes. Difficile de ne pas penser à soi-même en lisant les souvenirs d’autrui, de ne pas voir tout ce qui nous croise comme tout ce qui nous est étranger. Etrange, plutôt. Etrange pour moi tout ce qui a trait au garage familial, aux garages familiaux plutôt : j’ai fugitivement l’impression de l’évocation d’un autre monde. L’abîme de l’altérité entre personnes qui pourtant partagent aujourd’hui une commune préoccupation. Mais notre rapport à la matière sans doute en porte les traces.
Et puis il y a d’étranges croisements. Saint-Michel-en-l’Herm, village d’origine (quand c’est si compliqué pour moi de mettre un nom sur d’où je viens), tiens, j’y suis passé. J’y suis passé notamment parce que je venais de lire Abbés, de Pierre Michon (j’imagine combien a pu paraître étrange aussi à François Bon cet emprunt de son village), mais pas seulement. Ma route a croisé la Vendée et je ne pense pas que nombreux seront les lecteurs de ce livre qui sauront à quoi François Bon fait allusion quand incidemment ils mentionnent les pibales. Nul doute que l’absence d’explication soit intentionnelle c’est pourquoi je n’en donnerai guère davantage, même si par la conversation de mon beau-père je sais en théorie seulement de quoi il est question, n’ayant pas eu hélas la chance d’y goûter – car la gourmandise chez moi marche main dans la main avec la curiosité.
Je ne peux m’empêcher de voir la Vendée comme un pays où le passé est resté présent plus longtemps qu’ailleurs (ma toute jeune femme ne se souvient-elle pas « des bœufs » ? – comprenez : les bœufs à la charrue) et souvent cette impression se confirme à lire François Bon. Du coup, je suis d’autant plus frappé par l’irruption de la modernité, notamment technologique, dans cette Autobiographie des objets, que bien sûr, vite fait, je suis tenté d’expliquer par le garage. C’est sans doute aller un peu vite mais le lecteur ne se contrôle pas. Le support de l’écriture notamment. Evidemment. Les différentes machines à écrire utilisées par le jeune écrivain, avant l’accession précoce au numérique, loin de m’apparaître obsolètes, m’éblouiraient presque par leur modernité. (Il faut dire que celui qui écrit ceci ne sait pas encore programmer un magnétoscope – rappelez-vous : ces machines avec de grosses cassettes.) D’ailleurs la Remington, tiens. Flûte, j’ai perdu la page. Donc la Remington, avec son ruban bicolore noir et rouge, était déjà d’une autre époque à l’époque ; une sorte de nuit des temps dont certains auteurs l’ont tirée pour en faire un objet mythologique dont François Bon se moque gentiment. Eh bien la Remington à ruban noir et rouge, moi qui suis largement son cadet, je l’ai utilisée. Le meilleur de mes livres, le plus cher à mes yeux en tout cas (inédit bien sûr), c’est là-dessus qu’il y a un peu plus de vingt-cinq ans – seulement – je le tapais. Et quand je me suis servi de ce souvenir dans Une affaire de regard, je n’avais pas du tout conscience de participer à une sorte de mythologie collective – bien perçue par la critique cependant. Il faut dire que si j’avais eu la possibilité de me contenter d’écrire à la main, j’aurais préféré. L’écriture, pour moi, ou plutôt la littérature, c’était une manière de ne pas avoir à faire avec les objets, dont souvent je ne savais que faire.
Voyez comme en lisant les souvenirs d’un autre ce sont les nôtres aussi, souvent par contraste, que nous lisons. Les objets de François Bon, ou plutôt leur souvenir car c’est sous cette forme qu’ils apparaissent dans son livre, me renvoient aux miens, ou à ceux dont souvent j’ai répugné à me servir. Aucune nostalgie dans son livre, aucun pathos. Ce n’est pas pour autant que l’émotion n’y est pas, notamment dans sa fin annoncée, dernier objet d’abord évité, retardé – et pourquoi.
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Commentaires

Je n'ai pas de certitude mais je crois que c'est un livre pour moi. Tout comme Liquide fut un livre pour moi : alors que mon parcours n'a rien à voir avec "l'histoire", j'y ai été maintes fois renvoyée....
Commentaire n°1 posté par Michèle le 29/09/2012 à 22h56
Oui, mais autant Liquide est un roman dont les situations tendent vers l'universel, autant cette autobiographie, notamment par le choix déterminant que fait François Bon de passer par les objets, nous renvoie à notre infinie singularité et souligne - enfin, c'est ma lecture - combien toute rencontre est improbable - et merveilleuse.
Réponse de PhA le 30/09/2012 à 15h59
Moi aussi, je suis tentée. Certains objets, parfois relativement récents, nous font plonger dans un passé que l'on croyait oublié. comme le magnétophone à cassettes, qui m'a tant servi à l'époque où j'étais donneuse de voix...
Commentaire n°2 posté par Lza le 30/09/2012 à 09h42
Les objets oubliés qui ne le sont pas vraiment.
Réponse de PhA le 30/09/2012 à 15h53
Bon, tout le monde est tenté, même moi. Ce que vous dites sur les autobiographies où l'on croit reconnaître sa vie est très bien vu. (Je suis en train de lire "Les champs d'honneur". Au pluriel, c'est ça?)
Commentaire n°3 posté par Depluloin le 30/09/2012 à 12h24
Ou l'on croit reconnaître sa vie / où l'on s'étonne (et pourquoi donc ?) de ne pas la reconnaître.
Réponse de PhA le 30/09/2012 à 16h00

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