J’avais
prévu de citer un passage et puis ce billet est bien assez long comme
ça. J’avais choisi le passage sur les photos de
classe. Pourquoi ce passage-là ? Parce que c’est la saison. Dans une
autre vie je suis professeur, les photos de classe ont été prises, les
élèves ne vont pas tarder à les recevoir, les 3e
n’ont pas encore fait de dictée, l’autobiographie est à leur
programme, pourquoi pas un extrait de ce passage-ci le jour où ils la
recevront, peut-être qu’ils s’en souviendront plus tard en
retombant sur cette photo de leur classe, photo de classe en abyme.
Dans l’Autobiographie des objets
de François Bon, il y a comme ça quelques objets qui sont communs à
tous. Et d’autres
pas du tout. Et même certains dont je ne sais même pas vraiment ce
que c’est. Les objets étaient là, leur présence s’imposait à nous, ont
participé à déterminer ce que nous sommes. Difficile de
ne pas penser à soi-même en lisant les souvenirs d’autrui, de ne pas
voir tout ce qui nous croise comme tout ce qui nous est étranger.
Etrange, plutôt. Etrange pour moi tout ce qui a trait au
garage familial, aux garages familiaux plutôt : j’ai fugitivement
l’impression de l’évocation d’un autre monde. L’abîme de l’altérité
entre personnes qui pourtant partagent aujourd’hui une
commune préoccupation. Mais notre rapport à la matière sans doute en
porte les traces.
Et puis il y a d’étranges croisements. Saint-Michel-en-l’Herm, village d’origine (quand c’est si compliqué pour moi de mettre un
nom sur d’où je viens), tiens, j’y suis passé. J’y suis passé notamment parce que je venais de lire Abbés, de Pierre Michon (j’imagine combien a pu paraître étrange aussi à
François Bon cet emprunt de son village), mais pas
seulement. Ma route a croisé la Vendée et je ne pense pas que nombreux
seront les lecteurs de ce livre qui sauront à quoi François Bon
fait allusion quand incidemment ils mentionnent les pibales.
Nul doute que l’absence d’explication soit intentionnelle c’est
pourquoi je n’en donnerai guère davantage, même si par la
conversation de mon beau-père je sais en théorie seulement de quoi
il est question, n’ayant pas eu hélas la chance d’y goûter – car la
gourmandise chez moi marche main dans la main avec la
curiosité.
Je
ne peux m’empêcher de voir la Vendée comme un pays où le passé est
resté présent plus longtemps qu’ailleurs (ma toute jeune
femme ne se souvient-elle pas « des bœufs » ? – comprenez : les
bœufs à la charrue) et souvent cette impression se confirme à lire
François Bon. Du coup, je suis d’autant plus
frappé par l’irruption de la modernité, notamment technologique,
dans cette Autobiographie des objets, que bien sûr, vite fait, je suis tenté d’expliquer par le garage.
C’est
sans doute aller un peu vite mais le lecteur ne se contrôle pas. Le
support de l’écriture notamment. Evidemment. Les différentes machines à
écrire utilisées par le jeune écrivain, avant
l’accession précoce au numérique, loin de m’apparaître obsolètes,
m’éblouiraient presque par leur modernité. (Il faut dire que celui qui
écrit ceci ne sait pas encore programmer un magnétoscope –
rappelez-vous : ces machines avec de grosses cassettes.) D’ailleurs
la Remington, tiens. Flûte, j’ai perdu la page. Donc la Remington, avec
son ruban bicolore noir et rouge, était déjà d’une
autre époque à l’époque ; une sorte de nuit des temps dont certains
auteurs l’ont tirée pour en faire un objet mythologique dont François
Bon se moque gentiment. Eh bien la Remington à ruban
noir et rouge, moi qui suis largement son cadet, je l’ai utilisée.
Le meilleur de mes livres, le plus cher à mes yeux en tout cas (inédit
bien sûr), c’est là-dessus qu’il y a un peu plus de
vingt-cinq ans – seulement – je le tapais. Et quand je me suis servi
de ce souvenir dans Une affaire de regard, je n’avais pas du
tout conscience de participer à une sorte de mythologie
collective – bien perçue par la critique cependant. Il faut dire que
si j’avais eu la possibilité de me contenter d’écrire à la main,
j’aurais préféré. L’écriture, pour moi, ou plutôt la
littérature, c’était une manière de ne pas avoir à faire avec les
objets, dont souvent je ne savais que faire.
Voyez
comme en lisant les souvenirs d’un autre ce sont les nôtres aussi,
souvent par contraste, que nous lisons. Les objets de
François Bon, ou plutôt leur souvenir car c’est sous cette forme
qu’ils apparaissent dans son livre, me renvoient aux miens, ou à ceux
dont souvent j’ai répugné à me servir. Aucune nostalgie dans
son livre, aucun pathos. Ce n’est pas pour autant que l’émotion n’y
est pas, notamment dans sa fin annoncée, dernier objet d’abord évité,
retardé – et pourquoi.
Commentaires
Je n'ai pas de certitude mais je crois que c'est un livre pour moi. Tout comme Liquide fut un livre pour moi : alors que mon parcours n'a rien à voir avec "l'histoire", j'y ai été
maintes fois renvoyée....
Commentaire n°1
posté par
Michèle
le 29/09/2012 à 22h56
Oui, mais autant Liquide est un roman dont les situations tendent vers l'universel, autant cette autobiographie,
notamment par le choix déterminant que fait François Bon de
passer par les objets, nous renvoie à notre infinie singularité et
souligne - enfin, c'est ma lecture - combien toute rencontre est
improbable - et merveilleuse.
Réponse de
PhA
le 30/09/2012 à 15h59
Moi aussi, je suis tentée. Certains objets, parfois relativement
récents, nous font plonger dans un passé que l'on croyait oublié. comme
le magnétophone à cassettes, qui m'a tant servi à l'époque
où j'étais donneuse de voix...
Commentaire n°2
posté par
Lza
le 30/09/2012 à 09h42
Les objets oubliés qui ne le sont pas vraiment.
Réponse de
PhA
le 30/09/2012 à 15h53
Bon, tout le monde est tenté, même moi. Ce que vous dites sur les
autobiographies où l'on croit reconnaître sa vie est très bien vu. (Je
suis en train de lire "Les champs d'honneur". Au pluriel,
c'est ça?)
Commentaire n°3
posté par
Depluloin
le 30/09/2012 à 12h24
Ou l'on croit reconnaître sa vie / où l'on s'étonne (et pourquoi donc ?) de ne pas la reconnaître.
Réponse de
PhA
le 30/09/2012 à 16h00