vendredi 14 septembre 2012

Eric Chevillard, l’Auteur et moi, et moi.


http://www.leseditionsdeminuit.fr/images/3/v_9782707322524.jpg 
Eric Chevillard vient de publier un nouveau livre : L’Auteur et moi.
Plus précisément : Eric Chevillard est l’auteur de l’Auteur et moi et moi je suis le lecteur.
En outre, si l’on y regarde de près, il y a un auteur dans l’Auteur et moi et l’auteur de l’Auteur et moi est l’auteur d’une partie de l’Auteur et moi, donc on peut supposer que cet auteur est une partie d’Eric Chevillard.
Cependant Eric Chevillard est tout entier dans l’Auteur et moi, moi qui l’ai déjà beaucoup lu j’ai bien regardé il m’a bien semblé qu’il ne manquait rien de lui – pas même moi.
Mais moi bien sûr même si je suis auteur je ne suis pas Eric Chevillard ni même à sa hauteur, d’autant plus depuis qu’il est l’auteur de l’Auteur et moi et non de l’Auteur est moi même si l’auteur c’est lui.
Oui vous avez bien compris que l’auteur de l’Auteur et moi est aussi un personnage de l’Auteur et moi puisqu’il est question de l’auteur dans l’Auteur et moi.
Et de moi aussi, qui bien sûr n’est pas moi mais dont on ne peut pas affirmer en toute certitude que c’est lui.
Car moi aussi est un personnage qui n’est pas nécessairement l’Auteur sinon le livre évidemment se serait intitulé l’Auteur est moi et non l’Auteur et moi ; moi donc n’est pas nécessairement l’Auteur mais peut-être quand même après tout l’auteur. Eric Chevillard. Ou pas.
 
Oui : vous avez compris qu’on ne ressort pas indemne de la lecture de l’Auteur et moi. Me voici à l’évidence tout à fait incapable de rendre justice à l’Auteur et moi ni à son auteur tant cette lecture m’a remué, retourné, tourné la cervelle en chou-fleur – comme si sa forme ne suffisait pas sa consistance de béchamel aussi l’y prédisposait. Car l’auteur, l’Auteur et moi et moi avons sans doute une sensibilité commune, que nous préférons figurer par notre aversion pareillement commune pour le gratin de chou-fleur, que je mange pourtant moi aussi par politesse, nos mamans nous ont bien éduqués, mais dont jamais pourtant malgré tout ce que je pense de la grumeleuse question du sujet je n’ai osé faire le sujet de tout un livre. Tant pis pour moi, Eric Chevillard l’a fait, il ne me reste plus que les endives, voilà ce que c’est de traînasser dans la queue à la cantine. Des endives dont je ne pourrai quasi rien faire, il n’y a plus de béchamel et rien pour les gratiner, Eric Chevillard est passé avant. Voilà pourquoi je n’écrirai jamais ce livre sur le gratin d’endives que tout le monde attendait ardemment depuis des lustres. Vous connaissez le coupable. Lisez-le.
 
Les avis gourmands de quelques autre convives, par le parfum de la truite aux amandes alléchés : Claro, François Bon et Pierre Jourde.


Commentaires

J'ai un doute - puisque je n'ai pas encore lu L'auteur et moi. J'ai un doute quant à ce jeu avec le lecteur, avec la lecture donc, et au final avec la "chose" littéraire vue comme une satisfaction intellectuelle. (Chevillard à l'évidence, "se satisfait" un mot autrefois employé pour désigner un certain acte solitaire.) Je fais peut-être là un mauvais procès. Mais si je suis dans l'excès, je ne le suis et le serai jamais autant que François Bon dont le dernier billet m'a laissé sur le cul vraiment. Pas seulement moi. 
Si les années m'ont appris quelque chose, c'est que tout acte créateur, toute création, se doivent d'être généreux. Et je ne crois pas qu'il y ait de la générosité à ne satisfaire que la construction intellectuelle d'un texte, en l'occurrence. Certes, Chevillard sait produire un creux mais il me semble qu'il s'agit d'un creux dans l'acte même de lire, et non celui q'on pourrait qualifier d'existentiel. Car je soutiens que Beckett (oui!) "possédait" son sujet, que sujet il y avait, et que sa générosité, immense, le poussait à satisfaire le lecteur.
Bon, ce commentaire improvisé n'est-ce pas...
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 14/09/2012 à 15h08
Vous avez bien compris, cher Depluloin, que ce billet est bien moins un commentaire de texte - on m'a trop bien appris à en faire pour que j'en aie encore l'envie - qu'une injonction à la lecture qui ne saurait souffrir la moindre discussion. Aussi n'y ai-je pas dit à quel point l'auteur se livre - se livre lui-même dans ce texte. Peut-être suis-je le seul, mais c'est tout juste si ses lignes ne me tirent pas des larmes - pas seulement de rire ; car l'humour chez lui est la politesse d'un désespoir transfiguré par l'élégance - comme c'était le cas déjà dans Choir ou dans Sans l'orang-outan. On est bien au-delà de la simple construction intellectuelle.
Réponse de PhA le 14/09/2012 à 15h43
Mais oui! c'est tout à fait lui!
(PLuplu! au coin! non mais!)
Commentaire n°2 posté par alena le 14/09/2012 à 15h57
Tiens, la bonne surprise !
Réponse de PhA le 14/09/2012 à 17h55
Bon sang ! Pas François Bon - qu'il veuille bien me pardonner - mais PIERRE JOURDE !!! PIERRE JOURDE qui de toute évidence a pris un échant coup de soleil !! 
(Pouvez-vous rectifier Philippe?)
Commentaire n°3 posté par Depluloin le 14/09/2012 à 16h46
Mais Pierre Jourde AIME Chevillard. De toute éternité. C'est une des vérités essentielles de ce monde. D'ailleurs quand je l'ai découvert - dans sa Littérature sans estomac, comme beaucoup de monde -, Chevillard était le seul auteur parmi tous ceux qu'il évoquait dont j'aie lu quelque chose - curieusement, j'avais échappé à tous ceux qu'il éreintait ; ça me l'a tout de suite rendu sympathique.
Réponse de PhA le 14/09/2012 à 18h03
Bon, parce que c'est vous, Philippe : je veux bien laisser une autre chance à Chevillard ! :)
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 14/09/2012 à 16h48
C'est bien.
Réponse de PhA le 14/09/2012 à 18h03
Pas lu le dernier Chevillard mais je pense que toute construction "intellectuelle" ayant pour sujet le moi (et donc aussi les autres) est d'elle-même acte de générosité puisqu'elle donne à voir ou à entendre l'état ou le mouvement d'un être (Rousseau se livrait aussi à des "confessions" solitaires).
La litérature se penche régulièrement sur elle-même : le stade du miroir se doit d'être "polishé" à maintes reprises et reprend alors son éclat.
Commentaire n°5 posté par Dominique Hasselmann le 16/09/2012 à 12h29
Cherchons l'être derrière la lettre.
Réponse de PhA le 18/09/2012 à 16h46
Bon! Je me précipite. Sur l'Auteur.
Commentaire n°6 posté par Michèle le 17/09/2012 à 16h34
Vous avez raison : ne le laissez pas s'échapper.
Réponse de PhA le 18/09/2012 à 16h47
merci de votre attention, Philippe.
Mais je vous retourne le mot et j'ai hâte de lire votre prochain ouvrage.
Commentaire n°7 posté par alena le 18/09/2012 à 21h32
Avec un peu de retard (mais je suis le lièvre d'Alice ces temps ci) je me réjouis doublement : Chevillard vient de publier (c'est Jourde qui me l'avait fait découvrir) et votre billet est plus drôle que ceux que vous citez. 
Commentaire n°8 posté par Zoë Lucider le 19/11/2012 à 22h41
C'est un grand Chevillard, vraiment - et qu'on apprécie encore plus quand on connaît déjà un peu l'auteur.
Réponse de PhA le 21/11/2012 à 18h10

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