Ils
restituent les vélos et se retrouvent face à la mer où des mouettes
picorent à leur manière, en piqué avec
élan, puis s’approchent du rivage à pas lents comme font les couples
d’amoureux ou qui envisagent de le devenir puisque tout s’y prête ; les
couchers de soleil sur l’horizon marin
maintiennent leur position de tube majeur des charts paysagers.
Après quelques pas la jeune femme ramasse un coquillage et le lui donne.
Il le regarde, dit « il est beau » et ne sachant
qu’en faire le met dans sa poche. Elle en ramasse un second, le
même, en forme de macaroni torsadé, apparemment l’espèce locale la plus
commune, qu’il met aussi dans sa poche après avoir constaté
à voix haute qu’il est encore plus beau que le premier. Encouragé à
prospecter le sable il se baisse à son tour et ramasse un galet qu’il ne
lui propose pas, mais prenant quelques pas d’élan il
tente un ricochet. Flop. Il dit qu’il a perdu le tour de main, ou
plus précisément le coup de poignet, tout est là, dans le parfait
relâchement du poignet, comme au lancer de fléchettes ou de
frisbee. Un promeneur flamand émet quelques sons gutturaux et fait
signe que les jets de pierre sont interdits. Un crabe traverse devant
eux, petit, mou, en ligne droite.
Elle
renonce à ramasser des coquillages qu’il met dans sa poche sans les
regarder vraiment, il abandonne les ricochets qui
coulent à pic et sont interdits sur les surfaces publiques. Sur
initiative du représentant ils se reprennent la main ; la jeune femme,
toujours à droite, à la place passager, se laisse
conduire le long du rivage boueux. Ils regardent la mer engloutir la
dernière portion du soleil couchant et par association d’idée il
embrasse sa compagne dans le cou. Compréhensive, elle laisse
s’exprimer cette fausse spontanéité typiquement masculine. Devant
eux s’étend la mer (éternelle) et sa monotonie (moutonnante). Ils
piétinent encore un peu dans le sable puis s’en retournent vers
les immeubles de villégiature dont les parkings souterrains
commencent à s’ouvrir devant les 4x4 que leurs propriétaires vont ranger
pour la nuit et qu’ils jouiront de sentir là, sous eux, malgré
l’épaisseur de plusieurs étages, comme la princesse du conte sentait
son petit pois sous dix matelas, à la différence qu’un Flamand dort
d’autant mieux qu’il couve au plus près sa bien-aimée
masse de métal. Elle pointe du doigt le plus haut des immeubles et
propose :
– Si on prenait un verre chez moi ?
Joël Baqué, Aire du mouton, POL, 2011, p. 97 à 99.
C’est au moment où l’on s’interroge – montera-elle ou non ? – que l’histoire de la mayonnaise nous passionne
vraiment ; alors, oui : l’étirer à l’échelle d’un livre entier, dans cette Aire du mouton il y a vraiment de quoi se régaler. Lisez-en davantage ici, notamment l’article du Matricule des Anges.
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