Nami a emmené Désirée en visite à la ville.
Désirée plisse le front pour se concentrer sur cette aventure. Nami commente tout et Désirée aimerait qu’elle se
taise.
Augusta habite au treizième étage mais nous n’allons pas monter à pied, Désirée, nous allons prendre un
as-cen-seur.
Raclements derrière la porte métallique, grognements, la bête descend, et il faut pénétrer dans la cage, refermer
la grille sur soi. D’un haut-le-coeur l’ascenseur démarre son glissé dans l’entraille.
Tu vois, Désirée, là-haut, ce sont les chiffres des étages, il ne faut pas sortir avant le 13.
De toute façon on est dedans, comment serait-il bien possible de sortir de cette cage si elle ne le veut pas,
pense Désirée.
La volée de marches jusqu’à la porte d’Augusta semble vivante, élastique, elle renvoie l’écho des pas dans le
puits en dessous.
Nami
est tout excitée par le confort moderne. Elle présente les nouveautés à
Désirée ainsi qu’on annoncerait
l’arrivée de vedettes. Et maintenant : Vide-Ordure. Double Vitrage.
Volet Coulissant. Moquette. Oscillo Battant. Balcon Brisevent.
Désirée
n’a jamais vu le monde de haut. Elle se cramponne à la rambarde du
balcon et regarde au large. L’à-pic lui
fait peur. Le dos plat des voitures rangées comme des carrés
d’aquarelles veut la faire sauter dans ce qui n’est pas du ciel n’est-ce
pas ? Le ciel c’est au-dessus, ça peut pas être en
dessous. Au large il y a le vrai ciel, une tapisserie grise
aujourd’hui, lacérée par endroits en bandes blanches. Le visage de la terre
est émacié. Des creux verts, feldgrün, dans les joues. Le talweg de la
bouche barre la vallée et il y court des autos qui avancent comme les
chiffres de
l’ascenseur. Les orbites s’ouvrent en vasistas sur des yeux carrés,
des boîtes où d’autres habitent, le rouge des toits ensanglante le blanc
de l’iris. Le front au loin est plissé, il y reste de
la neige accrochée sur les hautes rides. Désirée est rivée au métal
du balcon, tendue.
Ici, on ne peut rien toucher, se dit-elle.
Elle regarde enfin en bas, à la verticale : une fille avec un anorak rouge, exactement comme le sien. Avec
des cheveux bruns noués en une courte queue de cheval, exactement comme elle.
Là-bas, tout en bas, il y a une fille qui me ressemble, dit-elle à Nami.
Marie Frering, Désirée, Quidam,
2008, p. 62-64.
Bien du plaisir à tous. Et, pourquoi pas, bien du bonheur.
Belle année à vous, inspirante, inspirée...
(A vous aussi !)
(C'est pas cher : 10 euros !)
Bonne année, Philippe!