jeudi 10 décembre 2009

la voix de Mauricette m’émeut

Il posa quelques questions et apprenant qu’elle était autorisée à passer et à recevoir des appels téléphoniques, il en déduisit que l’état de Mauricette s’était déjà bien amélioré. Il en fut heureusement surpris. Il avait pensé se rendre à Armentières en fin d’après-midi pour passer un moment avec elle. Mais cette fichue traduction n’avançait pas, et il avait besoin d’alimenter son compte bancaire. Sa liberté de traducteur free lance était limitée par les impératifs commerciaux.
Tant pis, il irait à Armentières demain. Il se replongea dans les aventures palpitantes de la demoiselle d’honneur au sein de la finance dorée… Trois heures plus tard, ayant bien avancé dans son pensum, alors qu’il venait de taper cette phrase : « Langoureusement allongée sur la méridienne de velours violet, Jennifer attendait avec impatience que Jonathan Morgan la rappelle pour confirmer leur rendez-vous au bar de l’hôtel Waldorf Astoria », le téléphone sonna. Une vraie sonnerie, qui le fit sursauter. Il souleva le combiné de sa base et se leva, voulant profiter de cette interruption pour se dégourdir les jambes.
« C’est moi, je téléphone de ma clinique dans le couloir.
– Toi, quelle surprise ! Quelle bonne surprise ! Tu vas mieux ?
– Je ne sais pas. C’est le point-phone. On dirait une petite chapelle. J’ai ton numéro dans le carnet dans mon sac.
– Oui, bien sûr. Je ne savais pas que tu avais une carte.
– C’est… une amie… une amitié. J’en avais une. J’ai fait beaucoup de choses. Dans l’eau, de la peinture et puis de l’écriture. J’avais peur de ne plus parler. C’est le plus important.
– Oui. Quoi ? Qu’est-ce qui est le plus important ?
– Parler parler parler parler parler… »
Elle murmurait. Christophe tout en écoutant Mauricette s’était dirigé vers le canapé. Très ému, il s’y laissa tomber pour continuer la conversation.
« Je comprends. Je vais venir te voir demain. Est-­ce que tu peux sortir ? De la "Clinique" ?
– Je ne sais pas. Je ne sais pas encore tout. Mais tu peux venir. Moi je t’attends. Je t’attends en lisant, en écrivant dans mon cahier. Mais il faut que ­tu viennes. Je t’attends.
– Moi aussi, je vais me presser. Je viendrai. A ­quatre heures et demie je serai là. Peut-être qu’on pourra marcher dans le parc. Il va faire encore beau demain. Ce sera une belle journée. Oui. J’arrive. Je suis content. On parlera. L’un à côté de l’autre. ­Demain, c’est promis.
– Christophe, c’est ton tour. Tu viens demain. Je vais enlever la carte pour ne pas tout user la première fois. »
Christophe se rassit à sa table de travail, mais il resta absorbé dans ses pensées, les mains de chaque côté de l’ordinateur. Il avait toujours un sentiment de vide après une conversation téléphonique, comme si le silence revenu figurait l’absence de celle qui était au loin… Il se secoua. À sa gauche, le volume de Melissa Baxter était maintenu ouvert à plat grâce à une lourde règle métallique. Il restait à traduire le dernier chapitre, le happy end.
 
Lucien Suel, La patience de Mauricette, La Table ronde, 2009, p. 184-186.



Commentaires

Diversion! diversion! pour éviter le billet précédent!! L'on ne nous la fait pas !!
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 11/12/2009 à 01h21
Du tout ! J'ai aussi le coeur tendre.
Réponse de PhA le 11/12/2009 à 12h50
Coïncidence, je viens à l'instant de finir d'en corriger un, de happy end. Eh bien le téléphone n'a pas sonné de l'après-midi. Cela dit, ça se comprend : le roman se passait en 1829.
Commentaire n°2 posté par Didier da le 11/12/2009 à 17h25
En lisant ce passage, j'ai pensé à toi, Mr HappyEnd !
Réponse de PhA le 11/12/2009 à 18h03
Le point-phone, "on dirait une petite chapelle". Irruption et recueillement de la parole retrouvée.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 11/12/2009 à 17h43
J'aime aussi beaucoup ce "point-phone", où la parole est toute neuve.
Réponse de PhA le 11/12/2009 à 18h07
On ne peut s'empêcher de penser à Monsieur Happy End en effet! (Sauf que ces derniers temps, il semble avoir pris le goût du sous-préfet de Daudet pour la clef des champs!)



Commentaire n°4 posté par Depluloin le 12/12/2009 à 16h17
Oui, on croit le laisser dans sa chambre à faire ses devoirs et on le retrouve qui se baguenaude dans la nature !
Réponse de PhA le 12/12/2009 à 19h31
Je connais cette sensation de vide après le téléphone. C'est peut-être pour ça qu'il me fait peur, que je ne l'aime pas.
Commentaire n°5 posté par dominique boudou le 12/12/2009 à 18h42
On a tous peur du moment où ça raccroche. Petite mort figurée.
Réponse de PhA le 12/12/2009 à 19h27
Parfois, tout de même, on dit "ouff!!"

Commentaire n°6 posté par Depluloin le 12/12/2009 à 20h25
Un grand merci pour votre intérêt. Et puis Mauricette aime tellement les veaux qu'elle appréciera sûrement le titre de l'article. Amicalement. L.S.
Commentaire n°7 posté par L Suel le 23/12/2009 à 09h03
Je regrette un peu de n'avoir pas eu le temps d'écrire un vrai billet pour dire tout le bien que je pense de ce beau roman, qui embrasse trop mal étreint - mais bon, j'embrasse Mauricette quand même !
Réponse de PhA le 23/12/2009 à 09h50

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