Il
posa quelques questions et apprenant qu’elle était autorisée à passer
et à recevoir des appels téléphoniques,
il en déduisit que l’état de Mauricette s’était déjà bien amélioré.
Il en fut heureusement surpris. Il avait pensé se rendre à Armentières
en fin d’après-midi pour passer un moment avec elle.
Mais cette fichue traduction n’avançait pas, et il avait besoin
d’alimenter son compte bancaire. Sa liberté de traducteur free lance
était limitée par les impératifs commerciaux.
Tant
pis, il irait à Armentières demain. Il se replongea dans les aventures
palpitantes de la demoiselle d’honneur
au sein de la finance dorée… Trois heures plus tard, ayant bien
avancé dans son pensum, alors qu’il venait de taper cette phrase :
« Langoureusement allongée sur la méridienne de
velours violet, Jennifer attendait avec impatience que Jonathan
Morgan la rappelle pour confirmer leur rendez-vous au bar de l’hôtel
Waldorf Astoria », le téléphone sonna. Une vraie
sonnerie, qui le fit sursauter. Il souleva le combiné de sa base et
se leva, voulant profiter de cette interruption pour se dégourdir les
jambes.
« C’est moi, je téléphone de ma clinique dans le couloir.
– Toi, quelle surprise ! Quelle bonne surprise ! Tu vas mieux ?
– Je ne sais pas. C’est le point-phone. On dirait une petite chapelle. J’ai ton numéro dans le carnet dans mon
sac.
– Oui, bien sûr. Je ne savais pas que tu avais une carte.
– C’est… une amie… une amitié. J’en avais une. J’ai fait beaucoup de choses. Dans l’eau, de la peinture et puis de
l’écriture. J’avais peur de ne plus parler. C’est le plus important.
– Oui. Quoi ? Qu’est-ce qui est le plus important ?
– Parler parler parler parler parler… »
Elle murmurait. Christophe tout en écoutant Mauricette s’était dirigé vers le canapé. Très ému, il s’y laissa
tomber pour continuer la conversation.
« Je comprends. Je vais venir te voir demain. Est-ce que tu peux sortir ? De la
"Clinique" ?
–
Je ne sais pas. Je ne sais pas encore tout. Mais tu peux venir. Moi je
t’attends. Je t’attends en lisant, en écrivant dans mon cahier. Mais il
faut que tu viennes.
Je t’attends.
–
Moi aussi, je vais me presser. Je viendrai. A quatre heures et demie
je serai là. Peut-être qu’on pourra
marcher dans le parc. Il va faire encore beau demain. Ce sera une
belle journée. Oui. J’arrive. Je suis content. On parlera. L’un à côté
de l’autre. Demain, c’est promis.
– Christophe, c’est ton tour. Tu viens demain. Je vais enlever la carte pour ne pas tout user la première
fois. »
Christophe
se rassit à sa table de travail, mais il resta absorbé dans ses
pensées, les mains de chaque côté de
l’ordinateur. Il avait toujours un sentiment de vide après une
conversation téléphonique, comme si le silence revenu figurait l’absence
de celle qui était au loin… Il se secoua. À sa gauche, le
volume de Melissa Baxter était maintenu ouvert à plat grâce à une
lourde règle métallique. Il restait à traduire le dernier chapitre, le
happy end.
Lucien Suel, La
patience de Mauricette, La Table ronde, 2009, p. 184-186.
Commentaires
Diversion! diversion! pour éviter le billet précédent!! L'on ne nous la fait pas !!
Commentaire n°1
posté par
Depluloin
le 11/12/2009 à 01h21
Du tout ! J'ai aussi le coeur tendre.
Réponse de
PhA
le 11/12/2009 à 12h50
Coïncidence, je viens à l'instant de finir d'en corriger un, de happy
end. Eh bien le téléphone n'a pas sonné de l'après-midi. Cela dit, ça se
comprend : le roman se passait en 1829.
Commentaire n°2
posté par
Didier da
le 11/12/2009 à 17h25
En lisant ce passage, j'ai pensé à toi, Mr HappyEnd !
Réponse de
PhA
le 11/12/2009 à 18h03
Le point-phone, "on dirait une petite chapelle". Irruption et recueillement de la parole retrouvée.
Commentaire n°3
posté par
Gilbert Pinna, le blog graphique
le 11/12/2009 à 17h43
J'aime aussi beaucoup ce "point-phone", où la parole est toute neuve.
Réponse de
PhA
le 11/12/2009 à 18h07
On ne peut s'empêcher de penser à Monsieur Happy End en effet! (Sauf
que ces derniers temps, il semble avoir pris le goût du sous-préfet de
Daudet pour la clef des champs!)
Commentaire n°4
posté par
Depluloin
le 12/12/2009 à 16h17
Oui, on croit le laisser dans sa chambre à faire ses devoirs et on le retrouve qui se baguenaude dans la nature !
Réponse de
PhA
le 12/12/2009 à 19h31
Je connais cette sensation de vide après le téléphone. C'est peut-être pour ça qu'il me fait peur, que je ne l'aime pas.
Commentaire n°5
posté par
dominique boudou
le 12/12/2009 à 18h42
On a tous peur du moment où ça raccroche. Petite mort figurée.
Réponse de
PhA
le 12/12/2009 à 19h27
Parfois, tout de même, on dit "ouff!!"
Commentaire n°6
posté par
Depluloin
le 12/12/2009 à 20h25
Un grand merci pour votre intérêt. Et puis Mauricette aime tellement
les veaux qu'elle appréciera sûrement le titre de l'article.
Amicalement. L.S.
Commentaire n°7
posté par
L Suel
le 23/12/2009 à 09h03
Je regrette un peu de n'avoir pas eu le temps d'écrire un vrai billet
pour dire tout le bien que je pense de ce beau roman, qui embrasse trop
mal étreint - mais bon, j'embrasse Mauricette quand
même !
Réponse de
PhA
le 23/12/2009 à 09h50