Puis,
alors qu’il passait près d’une barque, l’homme assis à bord releva la
tête. Puis, de la main, il lui fit signe
d’approcher. Fedia garda les avirons suspendus en l’air et attendit.
« Autant se faire engueuler de loin », songeait-il. Il essaya de voir,
dans l’obscurité, s’il avait brisé une ligne,
si quelque chose flottait à la surface de l’eau à cause de lui.
– Viens jusqu’ici, lui dit l’homme à voix basse.
– Quoi ? demanda Fedia. Qu’est-ce que tu veux ?
– Viens me donner du feu, s’il te plaît. Tu fumais tout à l’heure, je t’ai vu.
Fedia
manœuvra avec un seul aviron pour virer et se dirigea vers la barque.
L’homme se leva pour l’attendre et, lorsque
le bateau fut tout près, il attrapa la proue et l’amena bord à bord
avec la barque. L’homme, qui avait une sorte de capuche en laine sur la
tête, l’ôta et dit :
– Je ne peux pas me faire mon café, j’ai fait tomber mes allumettes dans l’eau.
Il montra la boîte et les allumettes posées sur le banc.
– J’en ai dans une bouteille, du café, si tu veux, dit Fedia. Il est chaud.
– Le mien est prêt, j’ai juste à allumer le réchaud.
Au
fond de la barque, il y avait une caisse en bois. Un réchaud à alcool y
était posé et, dessus, il y avait une
cafetière noircie, avec une poignée en bois brûlée par les flammes.
Fedia lui tendit son briquet et l’homme alluma le réchaud. Les flammes
montaient jusqu’à la poignée de la cafetière. L’homme
rendit le briquet à Fedia et dit :
– Amarre-toi, attends une minute, je t’offre du café.
Hubert Mingarelli, La promesse, Seuil, 2009, p.12-13.
Voilà : c’est sûrement à cause de son café que j’aime Mingarelli – ou plutôt, bien sûr, à cause de sa manière de l’offrir. « Je t’offre du café », le choix du verbe, par l’autre, le pêcheur dont on craignait l’engueulade, qui ose la fierté de mettre « je » devant ce verbe trop gros pour sa bouche. Sans être allé plus loin, je me dis que ce café-là, Fedia aimera y repenser, plus tard, parce que ce sera un bon souvenir. Et comme Fedia est le héros d’un livre de Mingarelli, c’est forcément un gars qui connaît le prix du bonheur, et qui aura à cœur d’en garder la trace dans sa mémoire.
La trace, parfois, ça s’appelle l’écriture, même quand on ne sait pas écrire (souvenir de Quatre soldats).
Celui qui, en moi,
aime Mingarelli, n’est sûrement pas le même que celui, que ceux qui
aiment (au choix, un nom ou l’autre, par le hublot droit –
qui est à gauche). On est tellement de lecteurs.
Commentaires
Tu me le mettras de côté quand tu l'auras fini (j'aimerais le lire
car moi aussi, je suis multiple, et Mingarelli ne m'a jamais déçue) ?
Commentaire n°1
posté par
Pascale
le 04/06/2009 à 23h41
Je te le garde au chaud, dans le thermos de Fedia.
Commentaire n°2
posté par
PhA
le 05/06/2009 à 07h38
(mais dans la vie - tu aimes le café ?)
Commentaire n°3
posté par
pascale
le 05/06/2009 à 08h40
dans la vie, j'aime (presque) tous les liquides (mais je
le reconnais : c'est vrai que j'ai un côté cup of tea, le petit doigt en
l'air - et que je ne crache pas dans le gorgeon non plus)
Commentaire n°4
posté par
PhA
le 05/06/2009 à 10h35
Une invitation qui ne se refuse pas !
Commentaire n°5
posté par
pascale
le 05/06/2009 à 11h53
Et soyons fous : on pourrait même inviter des personnes qui ne s'appellent pas Pascale !
Commentaire n°6
posté par
PhA
le 05/06/2009 à 15h41
Encore un qui m'a échappé : je note.
Commentaire n°7
posté par
Loïs de Murphy
le 07/06/2009 à 22h54