mardi 16 juin 2009

des nouvelles de Monsieur Jones

On était sans nouvelles de Monsieur Jones depuis sa fameuse chute au fond d’un trou – de mémoire. Par malice, j’ai ouvert la trappe sous les semelles de mes élèves de troisième, qui ont su retrouver sa trace. Monsieur Jones s’est fait refiler des souvenirs de contrebande par un indélicat : le voici coincé tantôt dans le 
désert du Kalahari (à moins que ce ne soit celui d’Acatama ?), tantôt en croisière sous les tropiques. Mais alors vraiment coincé, sur cette croisière ; mes élèves (qui, cette fois encore, sont aussi ceux d’Alexandre ; merci à lui) n’en démordent pas. On sait pourtant comment trop souvent les choses se gâtent :
 

 …Mon souvenir était prometteur ; il ne se pas­sait pas un instant sans que j’en découvre les délices : là, moi qui n’avais jamais su jouer d’un seul instrument – du moins était-ce mon impression –, j’excellais au piano et à la contrebasse. Là, moi qui n’avais jamais su danser (encore une fois, c'était une impression), je faisais virevolter mes partenaires. De la même façon, je parlais au moins dix langues 
(l’américain, l’espagnol, le chinois et s’il le fallait je pouvais aussi parler bambara, cajun, fang, quecchua, biélorusse, japonais et alsacien). De la même façon, je battais tout le monde au ping-pong. Au tennis. Au golf. Au crawl. Au whist. Au nain jaune. À la tequila. (Succession d’images de monsieur Jones en tennisman, en joueur de ping-pong, en maillot de bain…)
 
Image suivant : monsieur Jones au micro.
…Chaque soir, en compagnie des musiciens du Old Angel, je finissais la soirée sur l’air de Where Are You Going to, my Pretty Girl ?.
Nouvelles images de la mer et passage à nouveau – rapide  des  images précédentes.
…Chaque matin, j’évoquais la beauté des hibis­cus et des étoiles de mer…
Dans mon souvenir, j'étais beau et plein d'hu­mour, intelligent et adaptable.
 
Mêmes images – avec des détails changés (à la façon du « jeu des sept erreurs ») ou des pans entiers qui manquent.
…Seulement, dès le quatrième jour, les choses commençaient à tourner mal.
Je me mettais à dire des choses incompréhen­sibles : je posais des questions en ouolof ou en tagalog et répondais en songhay-zarma.
J’étais incapable de jouer Where Are You Going to, my Pretty Girl ? (je chantais à tue-tête Frère Jacques).
Je ne savais plus danser, même les slows.
…J’envoyais toutes les balles de golf à la mer.
Je mettais des tee-shirts fluo et des pantalons trop larges de joueur de hockey.
Je fumais les pailles, tenais les menus à l’envers, mangeais tous les desserts.
Bref, à chaque instant, le pire était à craindre si bien que le lendemain de ce quatrième jour, je décidai de ne plus sortir de ma cabine, ou seule­ment le soir, pour une promenade solitaire sur le pont, pleine d’amertume et de mélancolie, quand j’étais sûr de ne croiser personne.
  

Pascale Petit, Monsieur Jones, scène 7.
 
Il y a de l’espoir cependant : vous avez vu cette jeune fille qui traverse en tricycle le désert du Kalahari (à moins que ce ne soit celui d’Acatama ?), à côté des trois bédouins et des deux pères Noël ? Attendez qu’elle s’endorme et mes élèves sauront souffler à Monsieur Jones les mots qu’il faut – en présence même de l’auteur ils ont su oser. Oui, il y a de l’espoir pour Monsieur Jones !

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