dimanche 18 février 2018

Le retour (34 ans en arrière)

Je suis retombé là-dessus. C'est un truc que j'ai écrit en avril 84, j'avais vingt ans. On me reconnaît bien, je trouve.

Le retour

C’était ça. Cette idée fixe, cette perturbation. Je l’avais marquée pourtant, c’est moi-même qui l’avais marquée, au dos du ticket, à côté de l’heure du départ à l’aller, l’heure du retour. Maintenant encore, j’ai envie de dire 10 h 30. C’était là, inscrit dans mes rouages. Pourtant, au dos du ticket, c’est 10 h que j’avais écrit. Probable que ça ne me satisfaisait pas. Pas pour l’heure, oh non, mais… c’était une question d’esthétique, probable. D’ailleurs quand madame B m’a demandé à quelle heure partait le bateau, 10 h 30, que j’ai dit, j’en étais sûr. Heureusement, enfin, pas vraiment heureusement, je n’aime pas avoir l’air sûr, alors j’ai dit que j’allais vérifier. J’ai vérifié, et j’ai constaté avec surprise que c’était 10 h. Mais ça ne s’est pas inscrit dans mes rouages. Au fond, c’est resté 10 h 30.

Je suis passé à la gare, alors, pour vérifier les horaires des trains, et j’en ai choisi un, pour 10 h, qui, j’étais sûr, devait convenir. J’ai imprimé l’heure du train dans ma tête, mais l’heure du bateau, elle, s’était effacée, j’en étais revenu à 10 h 30. Sûr que plusieurs personnes m’ont demandé à quelle heure il partait, sûr que je leur ai dit à 10 h 30. Si ç’avait été 11 h, ç’aurait pas été grave. Tout ça, c’est parce que les chiffres après la virgule, enfin, c’est des chiffres en plus, c’est pas des chiffres en moins, ou à peu près, en tout cas, quoi, ce qui reste, c’est juste le début. Si ç’avait été 11 h, j’aurais jamais dit que c’était 10 h 30. J’aurais sûrement dit 11 h 30.

Mais l’heure du train, elle, du bon train, elle était restée. Et voilà que Monsieur B me propose de m’accompagner à la gare, à condition d’y aller vingt minutes plus tôt. Je me dis, j’aurai le train d’avant, pour le changement, c’est plus sûr. Mon train en effet était à 8 h 32, et je constate arrivé à la gare qu’il y en a un à 8 h 17. L’avantage n’était pas énorme, surtout que le train de 8 h 32 était plus rapide que celui de 8 h 17, mais enfin. Je demande à un employé, il me dit que c’est au bout de ce quai-ci. J’y vais, je m’installe sur un banc. A 8 h 16 à ma montre qui, je le sais, avance un peu, un train arrive, s’arrête. Je me dis, c’est celui-là, mais comme il est particulièrement court, je remonte un peu vers la gare et monte dans le dernier wagon de seconde classe. Là, je sors mon livre, en attendant que le train parte.

Mais à l’attitude des voyageurs, je soupçonne quelque chose. Je leur demande s’il y a un autre train sur la voie derrière le nôtre, ils me répondent que oui. Je me précipite à la porte, pour le voir partir. Je retourne à ma place, je leur demande si le train va bien où je vais, ils me répondent qu’ils pensent que oui. Je reste encore un peu. Je mûris la question, et finalement je descends du train et demande à un employé s’il va bien là où je crois qu’il va. Il me répond que non, que c’est celui-là, là-bas, qui y va. Je regarde ma montre, je comprends que j’ai raté le train de 8 h 17, qu’à cela ne tienne, je prendrais celui de 8 h 32, que j’avais prévu de prendre. De toutes manières, avec le changement, ça ne changera sûrement rien.

Je sors mon livre, le train part, je lis quelques pages, enfin je constate que l’on va bientôt arriver à la gare de correspondance. Je reconnais la ville, le train s’arrête, je descends. D’après mes souvenirs, c’est sur la dernière voie que sera le train que je dois prendre. Il y a un train sur cette voie, je demande à un employé s’il va bien où je veux aller, il me répond que non, mais que le prochain sûrement. Je m’assois sur un banc. Puis je retourne lire le panneau, qui me confirme dans mes opinions, quand l’employé vient vers moi et me montre sur le tableau de quel train il s’agit, que j’ai déjà repéré, il me montre le chiffre de la voie, et comme je ne réagis pas, il me dit que ce n’est pas cette voie-là, c’est l’autre là-bas. Je le remercie et vais à la voie indiquée.

En effet il y a là une jeune fille avec un sac à dos. Un train arrive, je monte dedans, je constate qu’elle reste sur le quai. Le train part, je vois alors un employé qui change les panneaux que je n’avais pas lus, j’ai un doute, je demande à un passager, il me répond juste que non. Je me mords les doigts. Je pense descendre à la prochaine station. Le passager vient vers moi, me conseille de descendre à la prochaine station, de prendre un train en sens inverse. Le train s’arrête, je descends, passe la passerelle, arrive sur l’autre quai, c’est une toute petite gare, il n’y a personne, juste deux gars qui peuvent passer pour des employés. Je leur demande à quelle heure est le prochain train, ils me répondent à 9 h 22. Il est 9 h 15, c’est bientôt. A 9 h 30, aucun train ne s’est arrêté, je leur demande à nouveau, un des deux va vérifier, c’est 10 h 22. La gare n’est pas importante, les trains ne s’arrêtent que toutes les deux heures.

Je dis que je n’ai plus qu’à faire du stop, ils m’indiquent la route à prendre. Sur la route, je redemande à une dame, elle confirme. Peu de temps a passé, une voiture s’arrête, le jeune homme veut bien me conduire à la gare de correspondance. Il ne connaît pas la ville, on la trouve quand même. Je le remercie, je rentre dans la gare, un employé me demande mon ticket, puis me dit qu’il y a un train à 10 h 06. Je retourne sur le quai, le même, en lisant bien tous les panneaux. Je calcule, je devrais arriver à l’heure. Le train arrive, je monte dedans. Je sors mon livre. Le train roule. On arrive au port. Je descends. Je remarque qu’il n’y a presque personne. Je connais l’endroit, je vais au service des douanes, c’est fermé. Il est 10 h 25 à ma montre, il devrait y avoir foule. Je reviens en arrière, je demande à une employée, elle me répond que le bateau est parti à 10 h. Je dis qu’on m’avait dit que c’était 10 h 30, je vais m’asseoir. Je sors mon ticket et au dos je lis « retour 10 h ».


4 commentaires:

  1. Effectivement, c'est bien vous... ça n'a pas pris une ride ;)

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    1. Je commençais à apprendre à faire quelque chose à partir d'un ratage.

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    2. Et bien, c'est plutôt réussi ! Je connais quelques "écrivains" qui devraient se rater plus souvent...

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    3. Surtout qu'on n'est pas obligé de rater son bateau, on peut se contenter de rater son avion, ou même son train.

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