Je suis retombé
là-dessus. C'est un truc que j'ai écrit en avril 84, j'avais vingt
ans. On me reconnaît bien, je trouve.
Le
retour
C’était
ça. Cette idée fixe, cette perturbation. Je l’avais marquée
pourtant, c’est moi-même qui l’avais marquée, au dos du ticket,
à côté de l’heure du départ à l’aller, l’heure du retour.
Maintenant encore, j’ai envie de dire 10 h 30. C’était là,
inscrit dans mes rouages. Pourtant, au dos du ticket, c’est 10 h
que j’avais écrit. Probable que ça ne me satisfaisait pas. Pas
pour l’heure, oh non, mais… c’était une question d’esthétique,
probable. D’ailleurs quand madame
B m’a demandé à quelle heure partait le bateau, 10 h 30, que j’ai
dit, j’en étais sûr. Heureusement, enfin, pas vraiment
heureusement, je n’aime pas avoir l’air sûr, alors j’ai dit
que j’allais vérifier. J’ai vérifié, et j’ai constaté avec
surprise que c’était 10 h. Mais ça ne s’est pas inscrit dans
mes rouages. Au fond, c’est resté 10 h 30.
Je
suis passé à la gare, alors, pour vérifier les horaires des
trains, et j’en ai choisi un, pour 10 h, qui, j’étais sûr,
devait convenir. J’ai imprimé l’heure du train dans ma tête,
mais l’heure du bateau, elle, s’était effacée, j’en étais
revenu à 10 h 30. Sûr que plusieurs personnes m’ont demandé à
quelle heure il partait, sûr que je leur ai dit à 10 h 30. Si
ç’avait été 11 h, ç’aurait pas été grave. Tout ça, c’est
parce que les chiffres après la virgule, enfin, c’est des chiffres
en plus, c’est pas des chiffres en moins, ou à peu près, en tout
cas, quoi, ce qui reste, c’est juste le début. Si ç’avait été
11 h, j’aurais jamais dit que c’était 10 h 30. J’aurais
sûrement dit 11 h 30.
Mais
l’heure du train, elle, du bon train, elle était restée. Et voilà
que Monsieur B me propose de m’accompagner à la gare, à condition
d’y aller vingt minutes plus tôt. Je me dis, j’aurai le train
d’avant, pour le changement, c’est plus sûr. Mon train en effet
était à 8 h 32, et je constate arrivé à la gare qu’il y en a un
à 8 h 17. L’avantage n’était pas énorme, surtout que le train
de 8 h 32 était plus rapide que celui de 8 h 17, mais enfin. Je
demande à un employé, il me dit que c’est au bout de ce quai-ci.
J’y vais, je m’installe sur un banc. A 8 h 16 à ma montre qui,
je le sais, avance un peu, un train arrive, s’arrête. Je me dis,
c’est celui-là, mais comme il est particulièrement court, je
remonte un peu vers la gare et monte dans le dernier wagon de seconde
classe. Là, je sors mon livre, en attendant que le train parte.
Mais à l’attitude
des voyageurs, je soupçonne quelque chose. Je leur demande s’il y
a un autre train sur la voie derrière le nôtre, ils me répondent
que oui. Je me précipite à la porte, pour le voir partir. Je
retourne à ma place, je leur demande si le train va bien où je
vais, ils me répondent qu’ils pensent que oui. Je reste encore un
peu. Je mûris la question, et finalement je descends du train et
demande à un employé s’il va bien là où je crois qu’il va. Il
me répond que non, que c’est celui-là, là-bas, qui y va. Je
regarde ma montre, je comprends que j’ai raté le train de 8 h 17,
qu’à cela ne tienne, je prendrais celui de 8 h 32, que j’avais
prévu de prendre. De toutes manières, avec le changement, ça ne
changera sûrement rien.
Je
sors mon livre, le train part, je lis quelques pages, enfin je
constate que l’on va bientôt arriver à la gare de correspondance.
Je reconnais la ville, le train s’arrête, je descends. D’après
mes souvenirs, c’est sur la dernière voie que sera le train que je
dois prendre. Il y a un train sur cette voie, je demande à un
employé s’il va bien où je veux aller, il me répond que non,
mais que le prochain sûrement. Je m’assois sur un banc. Puis je
retourne lire le panneau, qui me confirme dans mes opinions, quand
l’employé vient vers moi et me montre sur le tableau de quel train
il s’agit, que j’ai déjà repéré, il me montre le chiffre de
la voie, et comme je ne réagis pas, il me dit que ce n’est pas
cette voie-là, c’est l’autre là-bas. Je le remercie et vais à
la voie indiquée.
En
effet il y a là une jeune fille avec un sac à dos. Un train arrive,
je monte dedans, je constate qu’elle reste sur le quai. Le train
part, je vois alors un employé qui change les panneaux que je
n’avais pas lus, j’ai un doute, je demande à un passager, il me
répond juste que non. Je me mords les doigts. Je pense descendre à
la prochaine station. Le passager vient vers moi, me conseille de
descendre à la prochaine station, de prendre un train en sens
inverse. Le train s’arrête, je descends, passe la passerelle,
arrive sur l’autre quai, c’est une toute petite gare, il n’y a
personne, juste deux gars qui peuvent passer pour des employés. Je
leur demande à quelle heure est le prochain train, ils me répondent
à 9 h 22. Il est 9 h 15, c’est bientôt. A 9 h 30, aucun train ne
s’est arrêté, je leur demande à nouveau, un des deux va
vérifier, c’est 10 h 22. La gare n’est pas importante, les
trains ne s’arrêtent que toutes les deux heures.
Je
dis que je n’ai plus qu’à faire du stop, ils m’indiquent la
route à prendre. Sur la route, je redemande à une dame, elle
confirme. Peu de temps a passé, une voiture s’arrête, le jeune
homme veut bien me conduire à la gare de correspondance. Il ne
connaît pas la ville, on la trouve quand même. Je le remercie, je
rentre dans la gare, un employé me demande mon ticket, puis me dit
qu’il y a un train à 10 h 06. Je retourne sur le quai, le même,
en lisant bien tous les panneaux. Je calcule, je devrais arriver à
l’heure. Le train arrive, je monte dedans. Je sors mon livre. Le
train roule. On arrive au port. Je descends. Je remarque qu’il n’y
a presque personne. Je connais l’endroit, je vais au service des
douanes, c’est fermé. Il est 10 h 25 à ma montre, il devrait y
avoir foule. Je reviens en arrière, je demande à une employée,
elle me répond que le bateau est parti à 10 h. Je dis qu’on
m’avait dit que c’était 10 h 30, je vais m’asseoir. Je sors
mon ticket et au dos je lis « retour 10 h ».
Effectivement, c'est bien vous... ça n'a pas pris une ride ;)
RépondreSupprimerJe commençais à apprendre à faire quelque chose à partir d'un ratage.
SupprimerEt bien, c'est plutôt réussi ! Je connais quelques "écrivains" qui devraient se rater plus souvent...
SupprimerSurtout qu'on n'est pas obligé de rater son bateau, on peut se contenter de rater son avion, ou même son train.
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