Oui
je reviens sur le sujet – car décidément c'en est un : le
sujet. Il est au livre une sorte de noyau, qui sert au lecteur de
critère de choix – c'est dommage. Car le sujet n'est pas le livre
comme le noyau n'est pas le fruit. Mais le sujet présente à la
presse l'avantage de lui en fournir un, lui-même, car la presse a
besoin de sujets – quitte à ce que l'article, quand il est
insuffisant, parle du sujet au lieu de parler du livre. Insuffisant
mais l'illusion suffit : le titre est mentionné, le livre
marche. Ainsi en est-il, vérifiez-le, de tous les livres qui
marchent – même quand ils sont bons. Mais de même que dans la
nature tous les fruits n'ont pas de noyaux à proprement parler, tous
les livres n'ont pas pour sujet un noyau dur et compact, aussi
facilement détachable et propre à l'observation que celui de
l'abricot. Et de ceux-là il est naturellement – et je dirais même
par nature – beaucoup plus difficile de parler. C'est sans doute la
raison pour laquelle vous n'avez pas encore lu l'excellent A tous
les airs, de Stéphane Vanderhaeghe, dont le premier roman
Charognards avait été justement remarqué. L'apocalypse
corviforme, rappelez-vous, y pouvait passer pour le sujet, un pseudo
noyau comme en a la chayotte (car ce roman est bien autre chose
encore), mais suffisant pour un pitch apéritif. A tous les airs
est plutôt kiwi : on y mord sans s'y cogner les dents. J'ai
moi-même éprouvé bien du mal à en parler, cliquez sur ma piètre présentation ; pourtant cette absence de sujet aussi n'est
qu'un leurre, car après lecture l'imagination en est un, essentiel
(un sujet, d'ailleurs le leurre aussi en est un) dans ce roman ;
un sujet qui est également un moteur. Mais je pense aussi à Chaos,
de Mathieu Brosseau, gauchement évoqué dans mon précédent billet.
Il n'a de vraiment commun avec A tous les airs que l'éditeur
(oui, c'est aussi le mien, et ce n'est pas seulement par solidarité
éditoriale que j'en parle : Quidam ne recule pas devant des
choix essentiels qui signent une conception de la littérature que je
partage) et le statut de « deuxième roman » – une
place difficile. Mais dans Chaos non plus le sujet ne se
laisse pas saisir : la trame narrative, résumable en trois
lignes, en est plutôt le squelette, et la folie de la Folle n'en est
qu'un thème. Le livre se lit dans une sorte d'immédiateté sidérée,
à la fois évidente et hypnotique – allez donc en sortant dire
« de quoi ça parle » à vos amis, je vous en défie
d'autant plus volontiers que pour le relever, il faut lire le livre,
il faut lire les livres – et n'hésitez pas à venir râler auprès
de votre serviteur si vous êtes déçu : même pas peur.
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