Je
viens de terminer la lecture du dernier livre de Frédéric Fiolof,
La Magie dans les villes. Non, pardon : c'est son premier
livre à lui, et c'est le dernier que moi je viens de lire. Je
pourrais essayer d'écrire un article dessus, pour vous expliquer
combien est beau son art du décalage, comme un pas de côté dans le
caniveau qui borde la réalité ; mais on pourrait me dire que
c'est parce que moi-même j'ai du goût pour le décalage, que c'est
pour ça que j'aime son livre comme il aime les miens, tiens donc, et
que finalement tout ça n'est qu'une histoire d'amour ou d'amitié,
voire de copinage. Pourtant j'avoue avoir éprouvé un instant
d'appréhension avant d'ouvrir cette Magie dans les villes,
car on peut aimer la personne sans forcément apprécier l’œuvre.
Mais tout va bien. Et puisqu'on parle d'aimer, c'est peut-être moins
l'étrangeté que l'immense tendresse qui se dégage de ce livre qui
m'a retenu, dont les pages m'ont parfois évoqué Robert Walser avant
même que le nom apparaisse dans le texte ; l'anonyme
protagoniste de La Magie dans les villes le voit comme une
sorte de compagnon, et moi je le vois un peu comme un Walser qui
aurait eu le temps de vieillir, de se marier, d'avoir des enfants.
Femme et enfants, ainsi qu'un ange et une fée quelque peu empêchés
sont les autres personnages récurrents de ce roman qui est moins un
récit qu'un portrait, fragmenté juste pour que je puisse sans lui
faire mal en extraire un morceau, sans la famille celui-là, mais non
sans la tendresse, lisez plutôt :
Il y
a longtemps, il est tombé très amoureux d’une femme qui est
tombée très amoureuse de lui. Vraiment, ils ne l’avaient pas fait
exprès. Dès qu’ils se regardaient des bancs de sardines leur
traversaient le corps à la vitesse de la lumière. Quand leurs
doigts s’effleuraient, quelque chose les plongeait la tête la
première dans un océan de neige bleue. Au moindre baiser chacun
voulait aspirer l’autre tout entier, ce qui se produisait parfois
et ils disparaissaient dans un ultime filet de salive. Il leur
fallait s’attacher les mains dans le dos et se mordre les lèvres
jusqu’au sang, seulement pour ne pas forniquer (mais ils appelaient
ça autrement) dans tous ces endroits bizarres pas prévus pour.
D’ailleurs, ils ont arrêté de prendre le bus et de dîner au
restaurant. Ils se sont cloîtrés, ils ont maigri ensemble. Ils ont
éprouvé l’incroyable brûlure de faire toujours deux plutôt
qu’un. Et puis un jour la femme est repartie dans son pays.
Parfois, les pays ça fait ça. Il est resté tout nu, allongé par
terre, à maudire le vide, le manque. S’est frappé le front contre
le plancher — il en garde encore la marque. Il s’est dit :
Ah, si l’on pouvait choisir ses brûlures ! Et il s’étonne
que l’absence comme la présence de cette femme fassent pourtant le
même miel dans son souvenir.
Frédéric
Fiolof, La Magie dans les Villes, p. 33-34, Quidam, 2016.
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