Elle
n’est pas seule. Elles forment toute une famille aux jupons volubiles
et aux traînes mortelles et ont visiblement décidé de
fêter rageusement le printemps 1925. Le vortex de la plus grande est
aperçu pour la première fois en tout début d’après-midi, le 18 mars, au
nord-ouest d’Ellington, dans le Missouri. Son aspect
nébuleux abuse les fermiers pourtant rompus aux frasques climatiques
et ce n’est que lorsque Annapolis puis la ville minière de Leadanna,
sont réduits à des points sur la carte que l’alerte est
donnée, mais un peu comme l’on donne les derniers sacrements.
Enhardie par les dégâts qu’elle cause, la Tornade s’engage alors dans
l’Illinois, non sans avoir audacieusement traversé le fleuve
Mississippi, dont elle évase les rives avant d’éclabousser les
champs alentour de poissons et de vase. On retrouve même des arêtes dans
les branches des arbres encore debout.
Sa
Majesté débarque à Gorham aux alentours de 14 h 30, à une vitesse
moyenne de cent kilomètres-heure pratiquant au
nord-est de la ville anéantie une saignée large de près de deux
kilomètres. Puis elle file en se déhanchant jusqu’à Murphysboro, De
Soto, Hurst-Bush et West Frankfort, sans épargner pour autant,
avec ses avides tentacules, Zigler, Eighteen et Crossville, dévorant
en moins de trois quarts d’heure plus de cinq cent cinquante âmes.
Parvenue à Ottawa, elle se contente d’aplatir quelques
habitations d’un rot puissant et de jouer les béliers contre les
portes des abris anticyclones. Bizarrement, elle n’insiste pas
longtemps, avale quelques dizaines d’ouvrières, un contremaître et
un drôle d’échalas à goût de serpent, puis reprend de la vitesse,
possiblement agacée ou contrariée.
Loin
d’être repue, elle fait alliance avec ses sœurs venues du Kansas et du
Kentucky, et ensemble elles sucent le ridicule
sorbet qu’est le village de Pzarish puis se taillent une belle
tranche de deux cent trente quatre calories humaines, et ce juste avant
d’enjamber la Wabash River et de se déchaîner dans
l’Indiana.
Là,
elles ne font qu’une bouchée de Griffin, broutent quelques champs,
giflent une fois une seule Owensville, fichant une
frousse du diable à Princetown. La promenade dévastatrice dure
encore bien quinze kilomètres en direction du nord-est avant de
s’évanouir calmement vers 16 h 30 au sud-ouest de
Petersburg, après avoir à peine eu le temps de digérer soixante et
onze pékins.
695 morts, 2027 blessés, 15 000 foyers détruits.
Peu de véhicules peuvent se vanter d’un tel score.
Claro, CosmoZ, Actes sud, 2010.
Ce qui est bien avec les vacances, c’est qu’on a enfin le temps de lire les livres un peu plus gros dont on avait envie depuis
longtemps. En plus c’est au vingt-septième étage tandis que dehors l’orage rage que la tornade, principal personnage de CosmoZ, réunit enfin les autres personnages.
Personnages. J’aime beaucoup le mot personnage en français. Le suffixe surtout, qui dit bien le rapport entre
le personnage et la personne. Et qu’on devrait pouvoir rajouter encore et encore pour parler des personnages de Claro, qui sont plutôt des personnage-ages, voire des
personnage-age-ages.
Ce qui est bien avec les vacances en lisant CosmoZ
au vingt-septième étage pendant l’orage devenu lui aussi orage-age,
c’est qu’on traverse l’espace mais le temps aussi, et me voici
revenu en enfance. Car si je n’ai jamais personnellement connu de
Dorothy ailleurs que dans le Magicien d’Oz, je me
rappelle soudain avoir croisé une Dorothée. C’était en août 1970 à
quelques milliers de kilomètres au sud du Kansas mais celle-ci a eu beau
souffler et souffler toute la nuit comme le grand
méchant loup, cette grande cousine antillaise des tornades du Kansas
n’a pas su me tirer du pays des rêves : quand au matin j’ai vu inondée
la chambre où je dormais, le soleil brillait déjà
par la fenêtre.
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