vendredi 5 décembre 2014

Mon jeune grand-père (61)



Et voici donc à présent sa première vraie carte. Elle est encore tenue horizontalement mais l’écriture d’Edmond, au crayon à papier, y occupe tout l’espace. Je la retourne et constate que l’Offiziergefangenenlager n’est pas encore Reisen in Posen mais, en lettres majuscules, MAINZ. Mayence, donc. On est bien loin encore de la Pologne.
  Le 29 mai 1916. Mes bien chers parents. La ligne, horizontale, est longue. Il y a la place pour « bien ». Edmond espace même les mots.
Je puis enfin aujourd’hui vous donner de mes nouvelles. Vous pouvez vous rassurer sur mon sort. J’ai échappé à la fournaise et je suis encore en excellente santé. « Fournaise », c’est la première fois que je vois ce mot sous la plume d’Edmond. C’est vrai aussi que je n’ai pas pris les cartes dans l’ordre. Je sais très peu de choses de mon grand-père. Avant de lire ces cartes, de la guerre, je savais qu’il avait été prisonnier en Allemagne après que la tranchée où il se trouvait avait été passée au lance-flamme. Est-ce comme ça qu’on dit ? Ils seraient deux à avoir survécu et à avoir été faits prisonniers. L’autre soldat n’étant pas officier s’est forcément retrouvé ailleurs. J’ai bien pensé à vous tous ces jours-ci. Dans quelle inquiétude vous avez dû vivre ! Inquiétude inversée. Je suis prisonnier avec mon commandant, cinq autres officiers du bataillon, les 2 majors et l’aumônier. Gillet est également prisonnier mais il n’est pas avec nous, car les soldats ont été dirigés sur un autre camp. Gillet. C’est sans doute le soldat de la tranchée brûlée. Je me souviens que plus tard dans sa correspondance ce nom de Gillet reviendra. Une madame Gillet, et une Lolotte Gillet. En même temps, c’est un nom courant. Je ne sais pas ce qu’est devenu Beauguez (si je lis bien). Depuis que je suis prisonnier, j’ai passé (je n’arrive pas à lire si c’est « six » ou « dix », c’est raturé) jours à Stencey (ça ne doit pas être ça, ça ne fait pas très allemand) et nous sommes maintenant à Mayence dans la citadelle. Aussitôt dans mon esprit les tours de la Grande Illusion, je crois que c’est le Château du Haut-Kœnigsbourg qui a servi au tournage. Nous sommes en quarantaine pour cinq ou six jours. Nous avons pris un bain et nos effets sont désinfectés. Nous sommes bien traités. Les officiers allemands sont très corrects avec nous. La nourriture n’est pas trop mauvaise ici. Un « ici » prémonitoire ? Mais ce qui manque surtout, c’est le pain. Nous avons le droit d’écrire 6 fois par mois. Voilà. Ça correspond à la régularité des cartes d’Edmond. 2 lettres et 4 cartes. Il y a en effet des lettres à côté des cartes d’Edmond, mais comme elles sont à part j’ai commencé par les cartes. Nous pouvons recevoir tous les colis que nous voulons. Comme adresse vous n’avez qu’à copier ce qui est dans le cadre de l’autre côté de la carte. Dans le prochain colis mettez-moi C’est écrit de plus en plus serré, je n’arrive pas à lire sauf le derniers mots : mouchoirs. Nous avons pu nous procurer quelques objets de première nécessité. J’avais sur moi un peu d’argent. Pour l’instant je crois que j’en aurai assez. Les officiers qui J’ai beau me mettre en plein sous la lampe, je n’arrive pas à lire, c’est écrit de plus en plus serré. Il y a une bibliothèque. On pourra tout de même vivre en attendant la victoire. Il y a une bibliothèque. On pourra tout de même vivre en attendant la victoire. Je vous embrasse bien bien fort et de tout mon cœur ainsi que toute la famille. Votre fils qui vous aime de tout son cœur. E (et le reste de la signature est vraiment illisible).

2 commentaires:

  1. oui, des bibliothèques (ici dans un camp de prisonniers français en Allemagne)
    http://louisevs.blog.lemonde.fr/2011/11/14/lextraordinaire-voyage-dun-livre-memorial-de-novembre-epilogue/

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    1. Belle réflexion avec l'Iliade en point d'orgue.
      Je me souviens dans la Grande Illusion du prisonnier lecteur de Pindare.

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