Le 13 janvier 19167 - Mes chers parents - Comme
sur la carte du 9 janvier le 6 est surchargé d’un 7 – vite lu on
dirait un 4 mais c’est bien sûr un 7 : mon jeune grand-père avait du mal
à se rappeler que l’année était nouvelle, les choses
restant en l’état. Mais cette fois le 6 n’est pas barré à l’encre,
il a dû se corriger tout de suite et non à l’occasion d’une relecture
ultérieure.
D’ailleurs après vérification – c’est pour marquer ce temps que je vais à la ligne –, sur la carte du 4 janvier aussi le 6
était raturé d’un 7, mais plus discrètement ; je n’y avais pas fait attention.
« Mes
chers parents » est encadré de traits d’union, ou de tirets. Un espace
suit le dernier tiret : on va à
la ligne. Le reste est tout d’un bloc, de l’habituelle petite
écriture serrée, économe de place. Le crayon à papier est bien taillé.
J’ai reçu les cartes de papa des 28, 29 30, 31 et la lettre de maman (le mot est coupé entre les deux syllabes, il n’y a pas la place pour le trait d’union) du
1er (er est souligné) et aussi une carte de ma tante Maria (cette fois il n’y a pas de doute : c’est bien
"Maria" et non "Marie") du 12 déc (le c est quasi inexistant au
bord de la carte) et
une lettre de Lucie du 29. Cette brave tante est toujours en bonne
santé et ne souffre pas trop pour l’instant. La
carte est très brève. Lucie m’a écrit une gentille lettre où elle me
présente ses vœux de bonne année. Elle me parle d’une lettre qu’elle
m’a écrite pour Noël, je ne l’ai pas reçue mais j’ai reçu
les paquets, dites-lui que je la remercie bien et que je l’embrasse
bien fort ainsi que sa mère et Louise. Il me semble qu’il s’en paie des
vacances l’abbé ; je commence à trouver le temps
long pour ce qu’il doit ns transmettre. (Ce passage est assez mystérieux. Et il y a une trace de gomme par-dessus laquelle mon jeune
grand-père a réécrit « doit ns ».) J’espère encore cependant. (Bien
sûr je suppose que ce style elliptique est dû au lecteur indésirable
et obligatoire. Un instant je pense à un autre lecteur encore, dont il
ne pouvait être question, et la question de ma
légitimité à recopier ces cartes me traverse. Et puis je balaie
cette idée parce qu’il faut que je continue, ou quelque chose comme ça,
sans me poser de question, ou quelque chose comme
ça.) Comme
colis j’ai reçu les n° 9 13 16. Je vous ai dit brièvement l’autre jour
ce que je faisais. Voici un peu de détail. Je me lève à
8 ou 8h ½ - à 9h appel. Après et jusqu’à 10h promenade - de 10 à 12
le cours d’anglais sauf le dimanche où nous nous réunissons à la
chapelle. Après je vais aux colis si j’en ai et je lis le
journal. Une semaine (là aussi quelque chose a été gommé avant d’écrire « une semaine ») nous mangeons à 12, une autre à 12. (A moins qu’il ait écrit à 14, ce serait plus cohérent ; mais j’ai bien l’impression qu’il a écrit 12.) Nous
alternons avec les Russes. Après je fais le café, puis je refais un
peu d’anglais. De 2 ½ à 3 ½ je fais un peu d’allemand avec un camarade
qui débute, à 3 ½ je prends le thé, à 4 moins ¼ c’est
l’appel, puis la distribution des lettres, 4 fois par semaine de 4 ½
à 5 ½ j’assiste à 1 cours d’allemand fait par un interprète - de 5 ½ à 6
½ je travaille Histoire Physique ou Géographie
pendant que Daussy fait la cuisine, ns mangeons à 6h ½ puis nous
faisons une partie d’échecs. Après (deux mots courts que je n’arrive
pas à lire) travaille jusqu’à 8h ½ , de 8 ½ à 10 ½ nous jouons au bridge avec 2 capitaines (je
retourne un instant la carte pour voir que mon jeune grand-père, lui,
est sous-lieutenant ; c’est pour ça qu’il est prisonnier dans un
Offiziergefangenenlager ; officier comme son père qui lui écrit tous
les jours ; nous descendons d’une lignée d’officiers, une lignée qui
s’est arrêtée là, d’officiers catholiques
pratiquants, même moi doux mécréant qui pense autrement, sans pour
autant qu’il y ait là la moindre rébellion ; d’ailleurs tout cela est
tellement loin, pas seulement en temps mais par ce
que ma famille a vécu depuis), après je lis, puis nous nous couchons à 11h ½. (Encore quelque chose de gommé, sous « après je lis puis nous ».) Vous voyez que mes
journées sont bien remplies. Mon cuisinier me dit de vs demander du lard gras salé pour faire sa tambouille. Ça
sent le direct. Daussy
doit être en train de faire bouillir les patates au moment où mon
jeune grand-père écrit, c’est sûrement de lui que vient la blague, qui
passe de la cellule à la famille, et arrive jusqu’à
moi. Je vs quitte mes chers parents en vs embrassant bien fort tous les deux ainsi que Geneviève et Louis (Geneviève
et Louis : les deux seules personnes mentionnées dans ces cartes que
j’ai embrassées aussi, même si je ne m’en souviens plus très
bien) et toute la famille. Votre fils qui vs aime de tt son cœur. E.
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