Alors voilà : ce matin c’était l’épreuve de français du DNB (Diplôme National du Brevet)
2013 parce qu’on ne dit plus Brevet des Collèges depuis le Paléocène et BEPC depuis le Jurassique. D’ailleurs cette épreuve a fait peau neuve, nous autres
professeurs bien sûr le savions bien mais tout de même, ce sujet-ci est le premier de cette nouvelle mouture.
Dans l’Académie de Versailles, il s’agissait d’un extrait du Soleil des Scorta de Laurent
Gaudé qui va bientôt faire concurrence à Maupassant – un
extrait du même roman était tombé me semble-t-il en 2006. Mais enfin
après tout le texte n’est pas si mal ; vous le
trouverez vite sur le Net s’il n’y est déjà, j’ai la flemme de
scanner. Bien sûr on pourrait chipoter sur la pertinence de l’emploi
d’un subjonctif après « espérer » dans un sujet de
brevet : « espérant, dans des rêves étranges, que tout là-bas soit
différent » – c’est mon mauvais esprit qui souligne ; en effet les
personnages « sont entrés
dans la baie de New York », ce qui accessoirement justifie la
première question que d’aucuns trouveront peut-être un peu trop
géographique : De quel continent
s’agit-il ?
Si
la géographie fait son entrée discrète dans l’épreuve de français,
c’est sans doute pour compenser le départ cette fois-ci
officiel de la grammaire. Vous me direz que j’exagère, et vous
n’aurez pas tort : il y a quand même une question et demie de grammaire
dans ce sujet. Or, une question et demie, c’est
carrément le quart du sujet, qui en comporte six – pour plus d’une
heure d’épreuve (naguère dans le même temps on en comptait de dix à
quinze). Allez, pour le plaisir, je vous les recopie. Alors,
question 4 : « Le paquebot se dirigeait lentement vers la
petite île d’Ellis Island. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne
l’oublierai jamais. Nous dansions et
criions. » : identifiez les deux temps utilisés et justifiez
l’emploi de chacun. Voilà. Justifier l’emploi des temps, c’est
souvent intéressant. Ici notamment, celui du futur
simple est en relation avec la situation d’énonciation, cette
adresse à Don Salvatore… qui ne fait malheureusement l’objet d’aucune
autre question ; du coup je me demande bien ce que nos
élèves sans aiguillage vont bien pouvoir trouver. Quant à l’emploi
de l’imparfait qui l’accompagne, si vous trouvez quelque chose
d’intéressant à dire dessus, faites-le moi savoir (car j’ai la
faiblesse de penser qu’un sujet doit pousser le candidat à formuler
des réponses que lui-même au premier chef trouvera intéressantes). On se
rattrapera donc sur la question 5 a :
« Miséreux d’Europe au regard affamé. Familles entières ou gamins
esseulés. » Quelle remarque grammaticale pouvez-vous faire sur la
construction de ces deux phrases ? Avec la b,
Quel effet produisent-elles sur le lecteur ?, j’avoue que je n’ai rien à y redire.
Je
n’ai rien à redire sauf que c’est tout pour la grammaire. Or vous savez
bien qu’après le collège, la grammaire, c’est
fini : nos élèves sont supposés la connaître. Comment justifier à
leurs yeux la nécessité de l’apprendre s’ils ne sont même plus
interrogés dessus au brevet ? D’autant plus que parmi
nos élèves les plus méritants, ceux qui ont vraiment du mal en
français mais qui s’accrochent parce qu’ils portent en eux le sens de
l’effort et le désir de progresser, ces élèves-là trouvaient
souvent dans cette approche plus scientifique de la discipline des
occasions de réussite d’autant plus productives que le travail personnel
et les révisions y étaient particulièrement
efficaces.
En
limitant les questions à l’interprétation toute littérale du texte, on
court le risque d’égarer nos élèves les plus sérieux
(sérieux mais pas nécessairement toujours bons lecteurs) tout en
confortant les autres dans leur absence de travail : à quoi bon réviser
quand on ne sait pas sur quel texte on sera
interrogé ? Le message envoyé est clair : les révisions ne servent à
rien. Ou plutôt : entraînez-vous donc à la dictée. Parce que la dictée,
en revanche (un extrait
d’Ellis Island de Georges Perec, assortie d’une recommandation à la noix aux surveillants de salle : noter au tableau le titre et le nom de
l’auteur après avoir procédé à la dictée et avant la relecture alors que les mots Ellis Island
figurent dans le corps même de la dictée), la dictée, disais-je, est
plutôt du
genre costaud. On ne s’en tirera qu’en jouant sur le barème et les
tolérances (dont heureusement certaines s’imposent). Cette dictée, c’est
bien sûr un message pour l’opinion publique : vous
voyez, nous restons exigeants sur l’orthographe. Mouais. J’ai un peu
de mal avec les généralités sous-jacentes. Sans doute, le niveau
général en orthographe baisse. N’empêche, il y a aussi des
élèves, très mauvais lecteurs, qui s’en tirent honorablement en
orthographe tant que le vocabulaire n’est pas trop complexe, parce
qu’ils connaissent quelques règles… de grammaire, et qui se
réjouissent quand le prof annonce une dictée (alors que bien sûr
d’autres au contraire…).
Bref. L’autre nouveauté, c’est qu’il y a deux sujets de rédaction, dont un d’argumentation. Et ça c’est bien. « Le
monde d’aujourd’hui laisse-t-il encore place, selon vous, à un ailleurs qui fasse rêver ? » Comme ce n’est pas à moi d’y répondre je crois que je vais rester ici encore un
peu.
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