Ça va de soi : ne peut prétendre écrire que celui qui a lu. On a vite fait de reconnaître le maladroit qui voudrait prendre
des chemins de traverse et vous faire lire son texte (et surtout aimer
son texte) alors qu’avant le bout de la ligne on s’est déjà rendu
compte qu’il ne maîtrisait pas même sa langue.
Honte à lui. On ne va pas le lui dire en ces termes parce qu’on est
un peu délicat mais tout de même : honte à lui qui justement ne connaît
pas la honte, encore moins la vergogne.
La plupart des écrivains sérieux le disent à un moment ou un autre : c’est par la lecture qu’ils sont venus à la
littérature, puis à l’écriture. Rassurante évidence, hommage à ceux d’avant.
Et puis, dans la petite enfance, l’apprentissage de la lecture ne précède-t-il pas, de peu sans doute mais tout de même, celui
de l’écriture ?
Cela
dit, c’est quand même l’œuf et la poule, cette histoire. Car après
tout, n’est-ce pas la nécessité de l’écriture, ne
serait-ce que pour soutenir la mémoire défaillante à compter les
bœufs du troupeau déjà nombreux, n’est-ce pas l’écriture qui prime et la
lecture son indispensable certes mais simple
corollaire ?
Tout ce préambule pour me préparer à un pénible coming-out que l’honnêteté m’impose et que je ne retarderai pas davantage :
j’ai écrit avant de lire.
Je ne suis pas un vrai lecteur. (J’ai rencontré quelques vrais lecteurs, dont la fréquentation m’a confirmé dans ma conviction.)
Je suis sûrement un vrai écriveur, mais – les apparences notamment sur ce blog sont trompeuses – pas un vrai lecteur.
En
fait je lis parce que j’écris. C’est vaguement scandaleux mais c’est
comme ça. Je me rappelle parfaitement avoir eu la
curiosité de voir ce que d’autres avaient pu écrire avant moi parce
que, tiens, en effet d’autres avaient écrit avant moi. Et je me rappelle
y avoir pris du plaisir. Je me rappelle n’avoir rêvé
que d’écrire, et que ce que j’écrivais n’était pas bien bon – et
j’ai tous les jours dans mon cartable matière à comparer. N’empêche :
j’écrivais. Dans l’adolescence j’ai dû passer plus de
temps à écrire qu’à lire (non que je lusse peu : j’écrivais
beaucoup). Ou au moins autant. Ce n’était pas tant le besoin de raconter
des histoires (je n’en racontais guère), c’était juste
écrire. Comme courent les gens qui courent. Ou escaladent la
montagne ceux qui l’escaladent : parce qu’elle est là.
La
lecture, c’était pour lire autre chose que ce que j’écrivais, et c’est
vite devenu pour lire autre chose que ce que les
autres aussi écrivaient parce que les autres c’était moi aussi ;
pour voir ce que c’était ce que j’écrivais, pour écrire autre chose que
ce que j’écrivais, que ce que nous écrivions ;
aimer ce qui était écrit et en même temps vouloir autre chose, autre
chose encore, pour que ce soit à chaque fois nouveau, pas nouveau par
goût de la nouveauté, mais faire comme si rien jamais
n’avait été écrit, comme si à chaque mot on en était encore au
premier mot.
L’illustration est une animation de mon fils Côme, qui à ses moments perdus s’initie tout seul à la 3D et me fait cette belle
surprise.
Y aurait-il aussi des temps différents? Des temps où l'écriture est impossible, où l'on se "rabat" sur la lecture... Certains écrivains disent être réguliers comme des horloges.
La vidéo de votre fils est très habile, facétieuse et.... appropriée....
L'écriture doit prendre son indépendance (des fois, je n'achète pas de livres car c'est un mur comme à Berlin, on souhaiterait parfois qu'il soit détruit).
Faire table rase, oublier tout ce que l'on a lu.
Pour la vidéo de ton fils (Liquide un peu solidifié), je lui proposerais bien le même exercice... mais pour une publication en numérique !
Par ailleurs, s'il suffisait de lire beaucoup pour se prétendre capable de devenir écrivain, j'en serais peut-être moé ? Pfff!
L'écrivain, pour moi (et je vais dans votre sens) c'est celui qui NE PEUT SE PASSER D'ECRIRE : quand il mange, quand il dort, quand il se promène, quand il regarde le ciel allongé dans l'herbe, quand il est assis sur un banc, à une terrasse, tout devient MOTS pour lui et le besoin de l'écrire est IMPERATIF. Ensuite, peut venir le besoin de lire. Ecrire : puiser dans sa chair; lire : c'est l'enchairir.
(Bouhhh! je vais me cacher)
Bravo à Côme, mais cette pile de "Liquide" devrait être dispersée chez des lecteurs !
(Ah oui, bravo au Fiston !)