11.09.09
Lorsque
je débarque vers midi mon père n’est pas là. Je frappe au volet de la
porte plusieurs fois. Je me retourne. A droite,
contre le mur, il y a ma chienne morte dans une caisse en
polysstyrène, recouverte d’une bâche en plastique. Je frappe encore. A
mon avis il dort toujours. Je plaque mon visage contre la fenêtre
pour déceler un mouvement dans la maison. Rien. Je tire un pan de la
bâche, ma chienne est couverte de vers qui grouillent à travers les
déchirures de son pelage. Il fait beau. Je vais m’asseoir
un peu plus loin sur une marche en ciment et j’attends mon père au
soleil.
14.09.09
Au
bout d’un moment j’entends du bruit dans la maison. Le loquet tourne
sur lui-même mon père apparaît voûté le teint mâché
comme un vieux carton par la nuit et les cigarettes, les cheveux
sales. La première chose qu’il me dit c’est la chienne est morte et il
désigne la caisse. J’ai pas pu l’enterrer. Je lui demande
quand est-ce qu’elle est morte ? Je crois me rappeler que mon père
n’est pas très précis sur ce point. Il l’a trouvée morte un matin dans
sa caisse. Est-ce que ça fait trois jours, une
semaine ? Mon père a sorti la caisse de sous la table de la cuisine,
son refuge, et il a seulement pu la traîner dehors à côté de la porte
et lui mettre la bâche dessus. Je dis bon ben
faudrait peut-être l’enterrer. D’autant que le soleil commence à
taper.
On
décide de l’enterrer juste en face de la maison, pas loin d’un prunier,
au début du jardin. Le terrain penche. Il faudra
creuser plus profond probablement. On commence à tirer la caisse.
Mon père a des haut-le-cœur permanents et ça finit par sortir tout
droit. Là, alors que je suis en train de tirer la caisse pour
la faire glisser sur les gravillons puis sur l’herbe, attendant que
mon père pousse de son côté alors qu’en réalité il est en train de
gerber, je crois que je pourrais lui défoncer la gueule à
coups de poing. Je me contente de dire laisse je vais finir tout
seul.
Une fois que mon père est parti (comme le petit vieux qu’il est devenu, toujours secoué de spasmes qui lui déchirent le corps),
je mentalise l’endroit où je vais enterrer ma chienne. Ça dure deux minutes puis je vais chercher une bêche et je commence.
Je
revois des images où je la fouette au sang que je chasse assez vite. Je
revois des images de Jim, mon autre chien mort il y a
longtemps déjà. Je creuse en appuyant de tout mon poids sur le
dessus de la bêche pour qu’elle s’enfonce bien dans la terre. J’en ai
pour un moment.
Manuel Candré, Autour de moi, Joëlle Losfeld, 2012, p. 70-72.
Le récit au présent pour dire comme c’est présent encore alors que c’est un passé déjà vieux.
Je
ne devrais pas faire ça, isoler un passage, ce n’est pas exactement ce
que j’ai lu au moment où je l’ai lu parce qu’il y a ce
qu’il y a avant, et ce qu’il y a après, qui fait aussi que je n’ai
pas envie de mettre mes mots sur les mots déjà écrits – que du coup
donne à lire, mais pas assez.
D’autres extraits dans l’Humanité, et
les lectures de Claro, Fabrice Colin, Léon-Marc Lévy…
Commentaires
C'est assez terrible et je vais attendre d'être sûre que mon
petit-déj' reste en place avant de noter les coordonnées du livre...
Commentaire n°1
posté par
Françoise
le 23/10/2012 à 09h55
Voilà, maintenant que le petit déjeuner est passé, vous pouvez noter.
Réponse de
PhA
le 26/10/2012 à 15h06
Chienne de vie !
Commentaire n°2
posté par
Dominique Hasselmann
le 24/10/2012 à 14h42
C'est peu de le dire.
Réponse de
PhA
le 26/10/2012 à 15h07