lundi 24 mai 2010

il est normal que tu boites encore un peu

Noir et blanc
 
La guerre est finie. Tous veulent y croire et font tout pour y croire. Et reprennent lentement le chemin des habitudes anciennes.
 
Sanja est invitée demain soir à une réception. Elle veut y paraître belle. Aussi décide-t-elle d’aller s’acheter une nouvelle robe. Elle pense à une robe blanche, avec peut-être un motif discret. Elle ne s’est plus habillée de blanc depuis si longtemps.
 
Sanja entre dans un magasin, essaye les robes blanches, se regarde dans les miroirs, retrouve les attitudes, les gestes. Mais soudain elle bafouille, bredouille, hache les mots et demande à essayer une robe noire. Peut-être, souffle-t-elle, avec un discret motif blanc. Elle ressort avec une robe noire avec un léger moucheté blanc.
 
Le lendemain, à la réception, toutes ses amies, lumineuses dans leurs teintes claires, s’étonnent de cette nouvelle robe.
 
Elle boite encore dans les phrases, entre les mots, elle hache les mots Les taches – les – taches – de – sang – se voient – moins – moins – sur une – robe – noire. Elle veut clouer une planche devant sa bouche. Ses amies forment un rempart clair entre elle et la réception. Elles disent, avec un petit rire qu’elles veulent réconfortant, Viens Sanja, nous allons te guider, te montrer le chemin, il est normal que tu boites encore un peu.
 
Marie Frering, L’ombre des montagnes, Quidam, 2010, p. 79-80.
 
C’est à Sarajevo, pendant la guerre, et après, comme ici.
Déjà le premier livre de Marie Frering était comme une promesse. 


Commentaires

Ces quelques suffisent pour sentir un drame, passé? ou à venir?. Se dégage quelque chose de très fort. Puet-être pas pour moi tout de suite... attendre d'être forte, aussi. (A retenir en tout cas)
Commentaire n°1 posté par Ambre le 24/05/2010 à 10h59
Passé, même quand il l'est il ne l'est pas. Mais malgré la dureté du sujet, ce n'est pas une lecture éprouvante.
Réponse de PhA le 24/05/2010 à 14h25
Encore " un mal au genou", comme celui de Liquide je suppose qui va me laisser au bord des larmes...
Je (re)lisais encore votre livre "Liquide "ce matin, le noeud persiste ...Belle écriture et émotion forte qui ne laisse personne indifférent (je tenais à vous le dire ).
Commentaire n°2 posté par soulef le 24/05/2010 à 13h20
C'est un mal différent, plus absolu - et bien sûr, là non plus on ne peut pas rester indifférent.
(Merci. Sous mes airs de brave je suis un grand sentimental.)
Réponse de PhA le 24/05/2010 à 14h29
Ne plus avoir à attendre les snipers aveugles, sortir, sortir, et boiter encore une peu.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 24/05/2010 à 18h14
C'est ça - et ne pas savoir jusqu'à quand.
Réponse de PhA le 24/05/2010 à 20h21
Commentaire n°4 posté par Pascale le 24/05/2010 à 23h42
Non. ça a l'air féroce.
Réponse de PhA le 25/05/2010 à 07h43
Oui, une sacrée expérience de lecteur. J'y ai pensé en lisant ton papier qui se termine sur Sarajevo et parle de Quidam. Les connexions, des fois...
Commentaire n°5 posté par Pascale le 25/05/2010 à 09h05
Eh bien je ne te cacherai pas que je me suis dit, en lisant l'Ombre des montagnes, que tu aimerais sans doute ce livre (j'y avais déjà pensé avec Désirée, je crois).
Réponse de PhA le 25/05/2010 à 09h33

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