Repartons
en empruntant la rue aux bâtiments bombardés, derrière une pute et son
mac en pleine scène. (Là où, un peu plus tôt on avait
balancé une bouteille de lait, chacun la nôtre, dans le terrain de
jeu au milieu de Wellclose Square ; celle de Terry s’était cassée, pas
la mienne ; si on peut même plus compter sur
les lois de la physique, de nos jours, avais-je dit d'un ton amer.)
Apercevons des rangées intactes de bouteilles de lait. Que nous
ignorons – bien fait, car juste derrière nous un agent est
occupé à parler à un poivrot appuyé contre un mur. On continue.
Soudaine épiphanie à la vue d’une ligne de toit (un
choc, un vrai choc : quelqu’un,
une personne, un être humain, avait eu l’idée de cette ligne de
toit, l’avait conçue ; ce n’était pas brillant, ou gracieux, c’était
juste humain, la main de l’homme, la sueur de ses
neurones) et je m’arrête pour prendre des notes. Le policier
nous rattrape, me demande que j’ai dans la main, où j’habite.
J’interroge son droit à m’interroger. Terry me prévient de ne pas
être lourd. Un bleu, pas de Londres – Yorkshire ? Lui montre mes
papiers – à son plus grand plaisir. Satisfait. Reprenons le chemin de
Wellclose Square, encore – Terry pisse à travers la
grille en face de l’usine à spaghetti. Suis sur le point de
l’imiter, mais un flic à vélo débarque. On passe devant lui, mais on
sait qu’il s’est arrêté. On joue un peu au chat et à la souris
avec lui en direction du Sq., passant d’un porche à l’autre, et lui,
nous suit de près en roulant très lentement. Je trouve un trombone. Ne
nous suit pas jusqu’à l’entrée du Sq. M’appuie contre
un lampadaire dans le Sq., vois le flic faire circuler deux femmes
et un homme, bourrés, hilares. Le flic vient vers nous. Qu’est-ce qu’on
est en train de faire. Je papote tranquillement
d’architecture avec mon pote, je dis, il y a de belles maisons fin
dix-huitième par là-bas. Flic plus que raisonnable. Se fout pas en
boule. Nous signifie tout simplement que l’heure n’est pas à
l’architecture, c’est Stepney, ici, et à tout bout de champ, un
poivrot peut débouler d’une maison, armé d’un couteau et le planter dans
le premier quidam ; qui pourrait bien être
moi.
Albert Angelo, p. 156-157
Notre Prossefeur
Mr ALBERT
Mr ALBERT
Il
est pluto simpa qu’en ton parle avec lui et
il nous laise fère ce qu’on voeu cil è bien luné il fé son boulo
comme il doigt et il reste a ça place il père pas son sans froi on l'a
surnomé mé potes Mick Norm Anglei et moismême
CHAS phantasq le poilourci je dirai qu'il fé de sont mieu Mais je
pensse qu'il pourré en faire plus mais qu'il vœu pas nous an fère
profité il ai asé
grand et pluto bien dan sa chair Mais jé pa le droi de parlé dé fois
qu’en ton est tous assis a bossé et qu'il nous a a l'oeil les Garçons
et j’en fé parti on fait un peu les con et on se fiche
de sa poire et aussi dé fois on suis pas et on fé comme cil été pas
la et dé fois j’me qu’il doit avoir envi de baiser les bras et de tout
laiser tombé mais il père sévère qu'en
même,
MR Albert
MR
Albert est beau joueur parce qu’il prend bien les blagues. Il arête pas
de nous séparationner moi et Gloria et jamais
les garçons. Avec les garçons, il arête pas de plaîtsanter mais pas
avec les fille il pense qu'on nait un peu porté sur la chose. Je pense
qu’il est
Ce que je pense de Mr. Albère (dit BÉBERT LA MORVE)
Je
pense que Mr Albère est un gros taré d’empâté plein de graisse, et il
nous apprend queue dalle. Mais il peu être
réglo quand il veut. Quand il nous traite de paiesants sa me donne
envie de lui boter la tronch. Et quand il nous frappe ça me donne envie
de le traiter de tous les noms et de l’insulter. Et
aussi quand il gueule comme un putois j'ai envie de lui dire : « Ta
gueule grosse feignasse, espèce de grosse citerne. Quand il nous fait
lire ce bouquin j’ai envie de lui l’faire
bouffer. Des fois il dit qu’on lui fait du charme, mais je crois
qu’il m’a pas bien regardée dabord. Quand on va devant et qu’on s'appuie
sur sont piano il dit "Virez de mon piano," et s’y
l’était pas prof j’lui dirais Ta gueule Bébert et ton piano tu peux
te l’enfoncer bien profond dans ton trou de Bâle. Ce qui me rend folle
aussi c’est qu’il s’en prend toujours à Turk le plus
petit de la classe, un jour j’espère que Turkey va lui répondre et
lui crâcher à la geule. Et hier quand il était en train de sortir de la
classe y en a qui se sont mis à gueuler, alors tout de
suite il s’est mis à frapper les garçons, pourtant j’ai vu deux
filles qui avaient gueulé aussi. Mais si on l’avait dit il aurait juste
dit fermez-la et barrez-vous. Aussi, j’aime pas sont style
de musique sont compositeur préféré c’est Barh, un vrai jobarh lui
aussi. L’autre jour on a eu droit à Beethoven alors on a rebatisé ses
morceaux Beethoven blues et la Symphonie en Z+ d’Oliver
Tirejus. Et quand il passe d’autres styles de musique il devient
tout drôle et alors il se met à siffler, et il fait le chef d’orchestre,
COMME LE GROS
CRÉTIN D’EMPÂTÉ QU’IL EST.
B.S. Johnson, Albert Angelo, Quidam, 2009, p. 162-164
––– ras
le cul de tous ces mensonges vous voyez si j’essaie d’écrire quelque
chose en fait ça n’a rien à voir avec l’architecture
j’essaie de dire quelque chose sur l’écriture sur mon écriture je
suis mon propre héros absurde comme dénomination mon propre personnage
principal donc j’essaie de dire quelque chose sur moi à
travers lui Albert un architecte alors que mais à quoi bon cette
mascarade oui mascarade cette mascarade qui donne l’illusion l’illusion
que je peux tout raconter à travers lui enfin tout ce que
je pourrais trouver d’intéressant à raconter
––– souveraine aposiopèse
–––
J’essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des
histoires c’est raconter des mensonges et je veux dire la
vérité sur moi sur mon expérience sur ma vérité de ma relation à la
réalité sur le fait d’être assis là à écrire et à regarder Claremont
Square par la fenêtre à essayer de dire quelque chose sur
l’écriture et sur le fait qu’il n’y a aucune réponse à la solitude
et au manque d’amour
Albert Angelo, p. 171
––– Et bien sûr, pour vous, ça ne veut rien dire, ce radotage sur la condition du poète et sur l’obligation de gagner sa vie en
exerçant une autre activité : mais quid de votre relation à la condition humaine ? Hein ? Hein ? Hé hé hé !
Albert Angelo, p. 173
L’obligation de
gagner ma vie (entre autres) m’empêchant de trouver le temps de trouver
les mots pour dire tout le bien que je pense de ce livre publié par mon éditeur et ma joie de me trouver dans la même
collection, je laisserai pour l’évoquer la parole à Laure Limongi (« Loué soit Quidam éditeur ! » ce
n’est pas moi qui dirai le contraire et il faudra d’ailleurs que j’y revienne), à Bartleby, à Anne Sophie Demonchy,
aux Lignes de fuite et il y en aurait bien d’autres.
Commentaires
En lisant les pages 162 à 164 notamment, je pense au travail du traducteur ...
Commentaire n°1
posté par
pascale
le 19/03/2009 à 12h06
Et il y en a quelques pages comme ça, de rédacs variées sur Albert... on s'y croirait ! (notamment grâce à cette variété)
Commentaire n°2
posté par
PhA
le 19/03/2009 à 13h16
B.S. Johnson précurseur de F. Bégaudeau ?
Commentaire n°3
posté par
pascale
le 19/03/2009 à 13h43
C'est vrai qu'il y a un travail intéressant sur la langue dans Entre les murs
(je pense aux passages en classe, j'ai des réserves sur les passages en
salle des profs) qui ne peut pas laisser indifférent quand on connaît
bien le milieu ; mais c'est plus un travail sur l'oralité. Dans cet
extrait d'Albert Angelo, on est dans le passage "à l'écrit" - lequel, belle ironie, est supposé éviter un éventuel passage à l'acte. Mais l'enseignement n'est qu'un thème, dans ce livre, je ne pense pas que ce soit son sujet.
Commentaire n°4
posté par
PhA
le 19/03/2009 à 14h09
et bêtement je suis restée, pendant tout le reste, dans le souvenir du toit si humain
Commentaire n°5
posté par
brigetoun
le 19/03/2009 à 20h41
C'est qu'en effet cette "épiphanie", à cet endroit-là, mérite une pause...
Commentaire n°6
posté par
PhA
le 19/03/2009 à 21h00