C’est à
cette page 25 de Malone meurt qu’était restée mon « Attestation d’autorisation de sortie du territoire métropolitain pour mineur » que
j’évoquais dans les derniers commentaires, dans une édition plus ancienne encore, que cependant j’avais achetée pour neuve dans la
librairie de la ville où j’ai grandi.
Quel
ennui. Et j’appelle ça jouer. Je me demande si ce n’est pas encore de
moi qu’il s’agit, malgré mes précautions. Vais-je être
incapable, jusqu’à la fin, de mentir sur autre chose ? Je sens
s’amonceler ce noir, s’aménager cette solitude, auxquels je me
reconnais, et m’appeler cette ignorance qui pourrait être belle
et n’est que lâcheté. Je ne sais plus très bien ce que j’ai dit. Ce
n’est pas ainsi qu’on joue. Je ne saurai bientôt plus d’où il sort, mon
petit Sapo, ni ce qu’il espère. Je ferais peut-être
mieux de laisser cette histoire et de passer à la deuxième, ou même à
la troisième, celle de la pierre. Non, ce serait la même chose. Je n’ai
qu’à faire plus attention. Je vais bien réfléchir à
ce que j’ai dit avant d’aller plus loin. A chaque menace de ruine je
m’arrêterai pour m’inspecter tel quel. C’est justement ce que je
voulais éviter. Mais c’est sans doute le seul moyen. Après ce
bain de boue je saurais mieux admettre un monde où je ne fasse pas
tache. Quelle façon de raisonner. J’ouvrirai les yeux, je me regarderai
trembler, j’avalerai ma soupe, je regarderai le petit
tas de mes possessions, je donnerai à mon corps les vieux ordres que
je le sais incapable d’exécuter, je consulterai ma conscience périmée,
je gâcherai mon agonie pour mieux la vivre, loin déjà
du monde qui se dilate enfin et me laisse passer.
Samuel Beckett, Malone meurt, Minuit, p. 25-26
C’est de là peut-être que datent mes doutes sur la fiction, sur le « raconter des histoires » ; de là sans doute aussi mon goût
pour les exclamatives sans exclamation – que je surveille.
Quelle force.
(Je teste l'effet des exclamatives sans exclamation. (Ça manque un peu d'éclat, non. (Essai d'interrogative sans interrogation.)))