mercredi 19 janvier 2022

La gestion des espaces communs

Essayons, dans la forêt, de trouver des paires d’objets : deux feuilles, deux déjections, deux cailloux cassés en deux, deux insectes, deux fruits de n’importe quel arbre, deux clés perdues, deux empreintes de pas, deux emballages, deux mégots, deux champignons, deux vêtements. Vue sous cet angle, la forêt regorge d’objets qui vont par deux. On pourrait ne jamais avoir fini d’en faire le relevé.

L’eau située juste sous la surface, qu’on n’atteint d’abord que par un artifice, en venant du fond, comme un adjectif antéposé, c’est ce que nous voyons et ne pouvons montrer de là où nous sommes, sous une eau, c’est-à-dire uniquement sous celle du dessus, toujours remplacée, repliée dans un segment inutilisé de la phrase, une eau qui, à une autre échelle, emplit un baquet, par exemple, une cuvette, et brûle comme des orties quand on ne peut plus retenir sa respiration.

Devant nous, une clôture divise en deux moitiés la totalité de la vue, avec, dans chacune, un champ qu’un simple grillage sépare en deux parcelles identiques, d’une égale superficie. Quelqu’un décrit la façon, tout en le faisant, de peindre un objet, un lieu, un mouvement : ils sont là, sous nos yeux.

Tout l’espace est laissé libre pour un éventuel encombrement qui n’arrive jamais. Tout est toujours vacant. Quand nous traversons nous avons déjà fini et n’avons pas encore commencé. En calculant au plus juste, ce qui s’appelle au plus juste, au minimum, nous pouvons réduire. Là où il n’y a pas de marge il y en a une.

Lieu plat, désert et labyrinthique. Notre situation n’est pas bonne.



Dominique Quélen, La gestion des espaces communs, éditions Lanskine, 2019.



(Parfois la lecture est une expérience de fascination.)



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