Donc Albin à l'école. On l'y traitera d'imposteur pour la raison
que le nuage à la moindre occasion pisse et que, semblable aux
autres marches, celle où on a manqué s'étaler se répète et se
fond dans l'interminable escalier, l'eau n'est plus la même dans le
fleuve, le vin dans le verre, Albin soi-même perdu dans l'émoi du
monde avec les sensations, le regard, les mots des poètes, Albin
soi-même n'est pas soi-même n'est pas Albin.
Originalité, répète le maître et tous les mots qu'on lui a appris
et qu'il n'a pas su oublier, mensonge, usurpation, tromperie et
fausses apparences, imposture, et veut moralité et deux et deux font
quatre.
L'imposte en architecture est la tablette saillante posée sur le
pied-droit d'une porte, ou sur un pilier de nef ; en menuiserie
c'est la partie supérieure d'une baie de porte ou de fenêtre.
Le mot vient du latin imponere, « placer sur ».
Pour qu'il y ait précipitation, poursuit le maître, il faut à la
vapeur d'eau des poussières ou des grains de sel sur lesquels elle
se déposera.
Sur quoi se placerait-elle, son imposture, sur qui, qui pourrait-il
faire passer pour un autre qui lui-même n'était rien.
Dans les mots des autres, la voix d'Albin, partout où Albin n'est
pas, tiens il pleut, dit-il en quittant l'école, la poussière dans
l’œil donne à ses larmes un goût de sel, Albin ruisselle et
coule, un gai murmure.
Albin saison 2, éditions Louise Bottu, 2017.
Les blogueurs se souviennent qu'Albin était un blog et un un
blogueur, et depuis qu'Albin est livre – la bonne surprise que ce me fut en 2013 de le voir édité aux belles éditions Louise Bottu –
Albin se confond avec Albin, auteur et livre, et cette confusion
aussi est belle, qui dit aussi ce que devrait être notre rapport à
la littérature. Albin du coup n'est pas connu, et le citer comme je
viens de le faire ci-dessus ne dit pas vraiment ce qu'il dit – mais
comment, un peu ; et ce comment devrait suffire à donner envie.
(Avec une couverture signée Patrick Szymanek.)
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