dimanche 27 mai 2018

que la route se courbe comme une tige


« Il y a, dit-elle, quelque chose de difficile qui se fait jour. Mes échanges avec cet homme prennent un tour belliqueux. C'est qu'il est fait d'un métal dur ou qu'il a besoin de se garder des chocs, je ne sais pas, en tout cas il faut sans cesse qu'il affirme une suprématie, qu'il pose de l'implacable. C'est comme si on avait usé l'été jusqu'à la corde. Dans quel désert a-t-il relégué la tendresse ? Pourquoi se plaît-il dans ces coupes acérées, ces coupes sombres qu'il opère et dans cette atmosphère raréfiée ? Comprenez-moi, je n'aime pas quand l'accès est trop aisé, quand on me précède sur la route et qu'on m'ouvre grand les chambres et les paradoxes intimes. Mais j'aime que l'alliage se fasse, fluide, évident, et qu'il en résulte des étincelles. Or lui, il barre la route à l'évidence, il semble fait d'un métal pas même rare mais qui n'existe pas ailleurs sur terre. Je m'élance, il répond et soudain quelque chose dans sa réponse fait de moi une silhouette stoppée net. Il m'adresse des mots, en quantité, et de menus cadeaux mais je ne sais pas où il est ni où il me situe. Je ne sais pas si je suis une partenaire, une adversaire, une participante, un jeu ou un enjeu. Suis-je, posée sur sa vie, une plume, volatile, sans poids et sans nécessité ? J'aimerais parfois que la route se courbe comme une tige, comme le dos des enfants dont vous vous occupez.

Que peut-elle savoir des enfants ? Des enfants de Verre ? »

C'est un passage que je viens de découper dans On a brûlé les ruches blanches, de Bénédicte Heim, qui vient de paraître aux éditions Et le bruit de ses talons.



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