samedi 5 novembre 2016

se reserver a l’advenir a meilleure fortune

Pour ce coup je ne voudrois sinon entendre comm’il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils luy donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu’ils ont vouloir de l'endurer ; qui ne scauroit leur faire mal aucun, sinon lors qu’ils aiment mieulx le souffrir que lui contredire. Grand chose certes et toutesfois si commune qu’il s'en faut de tant plus douloir et moins s'esbahir, voir un milion d’hommes servir miserablement aiant le col sous le joug non pas contrains par une plus grande force, mais aucunement (ce semble) enchantés et charmes par le nom seul d’un, duquel ils ne doivent ni craindre la puissance puis qu’il est seul, ny aimer les qualités, puis qu’il est en leur endroit inhumain et sauvage. La foiblesse d’entre nous hommes est telle, quil faut souvent que nous obeissions a la force ; il est besoin de temporiser, nous ne pouvons pas tousjours estre les plus forts. Doncques si une nation est contrainte par la force de la guerre de servir a un, comme la cité d’Athenes aus trente tirans, il ne se faut pas esbahir qu’elle serve, mais se plaindre de l’accident ; ou bien plustost ne s'esbair ni ne s'en plaindre mais porter le mal patiemment, et se reserver a l’advenir a meilleure fortune. 

Etienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire

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