Ce
jour-là, le jour où trois champs brûlèrent, je vis une bête assez
grosse traverser le chemin devant moi – une bête au poil
sombre, moins trapue qu’un sanglier, et le museau très anguleux.
Parfois les oiseaux chantaient et faisaient bruisser les branches ; à
d’autres moments l’on ne les entendait plus, ni
rivière, ni vent ; mais mon pas – et mon cœur – et d’autres bruits
sourds qui semblaient venir du haut des collines, majeure et mineure.
Puis à deux ou trois cents mètres après le passage de
l’animal, je vis bouger la terre pâle du chemin. En me penchant – la
rivière, plus calme à cet endroit, scintillant à travers les arbres, la
calme rivière brune – je vis qu’était couchée sur le
bord du chemin une chose vivante, longue peu près comme la main, et
se tordant dans la poussière, gémissant – gémissant à. la façon d’un
enfant ; cette chose, faite d’ailleurs comme un
enfant – ayant deux jambes minuscules, et deux bras, et deux poings
faibles aux doigts délicats – et la tête petite, ronde, au minuscule
visage plissé, à la bouche ronde d’où sortait un
gémissement horrible. Son corps était couvert d’un duvet rendu beige
par la poussière.
A
genoux et la touchant d’une branche, je dus la blesser, car elle cria
plus fort, et son corps eut un grand tremblement. Il me
vint la tentation de la toucher encore, pour entendre son cri, et
celle aussi de lui écraser le crâne sous mon soulier de marche.
Anne-Sylvie Salzman, Lamont, « Sur la Thay », éditions le Visage Vert, 2009, p. 35-36.
Lamont
est un beau recueil de huit nouvelles qui explore sur le mode
fantastique les thèmes de la faute, la
monstruosité, la disparition. Je l’ai terminé il y a déjà quelques
jours et le texte persiste dans la mémoire. Il y a notamment une
nouvelle, l’Invention de Brunel, terrible dans son
oubli de dire – mais je ne n’en dis pas plus.
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