mardi 15 novembre 2011

il n’y a que les cimetières et les cinémas qui ne changent pas


à la hauteur du stade j’ai dit
je vais te montrer une dernière chose
quand nous sommes arrivés devant la falaise
qui tombe à pic dans la mer
j’ai dit ce sont les tombes d’élégie 2
les tombes phéniciennes
creusées dans le roc
à ciel ouvert
elles étaient remplies d’eau de pluie
les nuages s’y reflétaient
en fin d’après-midi
ça faisait des rectangles
brillants argentés à la surface de la roche
elles non plus
n’ont pas changé
il n’y a que les cimetières et les cinémas qui ne changent pas
pourquoi
nous sommes rentrés par la casbah
la nuit tombait les murs avaient de jolies couleurs
des fillettes rentraient de l’école
elles étaient insouciantes gaies
il faut qu’elles le soient ai-je pensé
c’est sur elles que repose l’avenir de cette foutue ville
c’était quoi
que tu étais venu chercher
c’était ça
ce que j’ai vu
bien que je ne sache pas exactement ce que j’ai vu
même pas
écoute
il y avait une jeune fille
qui habitait rue Quevedo
en face du terrain de gym
on la voyait sur son balcon
une jeune fille de notre âge
très jolie
je crois qu’elle aidait ses parents dans leur magasin
nous la croisions tous les jours dans la rue
à la sortie des classes
ou bien nous la retrouvions sur la plage
je n’oublierai jamais son visage ses yeux sa voix
il y a deux ans à Paris
nous nous étions retrouvés
quelques anciens du lycée
pour dîner dans un restaurant
quelqu’un a dit elle viendra aussi
après le dîner au moment de nous séparer
j’ai dit est-ce qu’elle ne devait pas venir
elle était là mon vieux tu lui as même parlé à table
je ne l’ai pas reconnue
sans doute a-t-elle beaucoup changé
mais non mon vieux elle n'a pas tellement changé
eh bien ce que j’ai vu ici
ça doit être pareil
le lendemain nous avons repris le bateau
 
Emmanuel Hocquard, Deux étages avec terrasse et vue sur le détroit, Echo & Co à Royaumont, 1989, p. 35 à 37.


Commentaires

C'est superbe! merci Philippe! 
Commentaire n°1 posté par Depluloin le 16/11/2011 à 16h41
Et merci à notre amie commune qui m'a offert cette petite merveille.
Réponse de PhA le 16/11/2011 à 17h43
Mais où sont partis le Novéac, l'Eden, l'Empire, le Familia, le Majestic... ?
Le Père-Lachaise est toujours là, lui, éternel.
Commentaire n°2 posté par Dominique Hasselmann le 17/11/2011 à 07h55
Au pays des étoiles.
Réponse de PhA le 18/11/2011 à 08h10
Hey, man !!! On parle de Tanger !!! Je reconnais ma ville !!! Merci Philippe !!!
Et quelle belle phrase, celle que vous relevez dans le titre... (si vraie, en plus)
(mes excuses aux lecteurs : nous, tangérois, sommes fous d'amour pour cette ville, que d'alleurs personne n'aime (sauf nous), tant elle sait ouvrir à nos regards un détroit où le même et l'autre peuvent encore confondre, paisiblement, leur altérité, voire même devenir, de temps en temps, délicieuse brume...  à bas marrakech...)
Commentaire n°3 posté par F le 17/11/2011 à 22h21
C'est bien Tanger en effet, vu par son "privé". (Vous donnez envie d'y aller !)
Réponse de PhA le 18/11/2011 à 08h14
@ F : cela peut me faire penser à autre chose...
Commentaire n°4 posté par Dominique Hasselmann le 17/11/2011 à 22h29
@DH : Cela peut aussi me penser faire autre chose... (allez, la musique - Lautréamont)
Commentaire n°5 posté par F le 17/11/2011 à 23h57

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