« Christie, l’avertissais-je, il me paraît impossible de poursuivre ce roman. J’en suis désolé.
–
Ne soyez pas désolé, dit Christie gentiment, ne soyez pas désolé. Nous
n’en sommes point à confondre quantité et qualité,
n’est-ce pas ? Et puis, qui veut encore lire de longs romans de
toute façon ? Pourquoi passer tout son temps libre de la semaine à lire
un roman de mille pages alors que l’on peut vivre
en une seule fois une expérience esthétique comparable devant une
pièce de théâtre ou un film ? L’écriture d’un long roman est en soi un
acte anachronique : il se justifiait au sein
d’une société et d’un ensemble de conditions sociales qui n’ont plus
cours aujourd’hui.
– Je suis heureux que vous me compreniez si facilement, dis-je, soulagé.
– A partir de maintenant, le roman devrait seulement essayer d’être Drôle, Brut et Court, dit Christie en forme
d’épigramme.
– Vous me l’enlevez de la bouche, repris-je, heureux. J’ai écrit tout ce que j’avais à dire, ou plus exactement, ce sera le cas
dans vingt-deux pages, alors il est clair que…
– Alors, je continue encore un peu ? interrompit Christie ?
–
Oui, Christie, tu continues jusqu’à la fin, le rassurai-je, puis
terminai ma phrase : il est clair qu’aucun lecteur ne
souhaite que j’invente encore quelque chose, il est clair qu’il ou
elle n’aura aucun mal à extrapoler à partir des éléments déjà existants.
– S’il y a des lecteurs, dit Christie. La plupart des gens ne vont pas le lire.
B.S. Johnson, Christie Malry règle ses comptes, Quidam, 2004.
Paru dans sa version originale en 1973, Christie Malry règle ses comptes est le dernier roman publié du vivant de B.S.
Johnson, qui mettait fin à ses jours la même année.
Bien sûr je trahis l’intention principale en mettant ce passage en exergue : vous n’êtes pas supposés lire ce que je vous
invite à lire. Ou peut-être que si.
Les éléments : "Nuit, extérieur jour".
Vous avez 4 heures, fouille à corps obligatoire pour récupérer tous les iPhone.
Et le talent de B.S. Johnson évidemment.
Et sûrement autre chose.
...oui, condamnés que nous sommes à le ré-inventer.