jeudi 23 juin 2011

il est clair qu’aucun lecteur ne souhaite que j’invente encore quelque chose


« Christie, l’avertissais-je, il me paraît impossible de poursuivre ce roman. J’en suis désolé.
– Ne soyez pas désolé, dit Christie gentiment, ne soyez pas désolé. Nous n’en sommes point à confondre quantité et qualité, n’est-ce pas ? Et puis, qui veut encore lire de longs romans de toute façon ? Pourquoi passer tout son temps libre de la semaine à lire un roman de mille pages alors que l’on peut vivre en une seule fois une expérience esthétique comparable devant une pièce de théâtre ou un film ? L’écriture d’un long roman est en soi un acte anachronique : il se justifiait au sein d’une société et d’un ensemble de conditions sociales qui n’ont plus cours aujourd’hui.
– Je suis heureux que vous me compreniez si facilement, dis-je, soulagé.
– A partir de maintenant, le roman devrait seulement essayer d’être Drôle, Brut et Court, dit Christie en forme d’épigramme.
– Vous me l’enlevez de la bouche, repris-je, heureux. J’ai écrit tout ce que j’avais à dire, ou plus exactement, ce sera le cas dans vingt-deux pages, alors il est clair que…
– Alors, je continue encore un peu ? interrompit Christie ?
– Oui, Christie, tu continues jusqu’à la fin, le rassurai-je, puis terminai ma phrase : il est clair qu’aucun lecteur ne souhaite que j’invente encore quelque chose, il est clair qu’il ou elle n’aura aucun mal à extrapoler à partir des éléments déjà existants.
– S’il y a des lecteurs, dit Christie. La plupart des gens ne vont pas le lire.
 
 
Paru dans sa version originale en 1973, Christie Malry règle ses comptes est le dernier roman publié du vivant de B.S. Johnson, qui mettait fin à ses jours la même année.
 
Bien sûr je trahis l’intention principale en mettant ce passage en exergue : vous n’êtes pas supposés lire ce que je vous invite à lire. Ou peut-être que si.



Commentaires

Si.
Commentaire n°1 posté par Denis Montebello le 23/06/2011 à 21h22
Hélas.
Réponse de PhA le 23/06/2011 à 21h46
"Un long texte est un grand malheur". (Callimaque, ou quelque Grec tâtant de l'épigramme)
Commentaire n°2 posté par Denis Montebello le 23/06/2011 à 22h09
Le problème alors, c'est qu'un petit texte soit un petit malheur.
Réponse de PhA le 25/06/2011 à 18h55
"Extrapoler à partir des éléments existants" : on met le verbe avec un "z", ça fait un sujet du bac de philo.
Les éléments : "Nuit, extérieur jour".
Vous avez 4 heures, fouille à corps obligatoire pour récupérer tous les iPhone.
Commentaire n°3 posté par Dominique Hasselmann le 24/06/2011 à 10h52
Qu'est-ce que c'est, le bac ?
Réponse de PhA le 25/06/2011 à 18h56
Il me manque une Christie cruellement
Et le talent de B.S. Johnson évidemment.
Et sûrement autre chose. 
Commentaire n°4 posté par Depluloin le 24/06/2011 à 17h09
Il vous manque une Christie ? BSJ vous en offre un - plus dangereux encore.
Réponse de PhA le 25/06/2011 à 18h57
... inventer encore quelque chose... mais alors, le monde ne suffit plus, quoi ?...
Commentaire n°5 posté par Gilbert Pinna le 24/06/2011 à 17h13
Il faut croire. (Enfin, je ne sais pas - s'il faut croire.)
Réponse de PhA le 25/06/2011 à 18h59
@ Gilbert Pinna : que serait le monde sans son invention (comme peindrait Courbet) ?
Commentaire n°6 posté par Dominique Hasselmann le 24/06/2011 à 18h17
@Dominique Hasselmann :
...oui, condamnés que nous sommes à le ré-inventer.
Commentaire n°7 posté par Gilbert Pinna le 24/06/2011 à 19h45
@ Gilbert Pinna : Courbet, peintre originel.
Commentaire n°8 posté par Dominique Hasselmann le 24/06/2011 à 21h29
Christie Malry était quelqu'un de simple.
Commentaire n°9 posté par Thaddée le 25/06/2011 à 16h41
J'aime beaucoup sa simplicité.
Réponse de PhA le 25/06/2011 à 18h59

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