MARIA SOMBRANO
  
    de Timon Lunoilis
  
    Par
 lassitude, espièglerie ou simple défi, des auteurs se mesurent parfois
 aux périls qui les guettent, ceux-là
    mêmes qu’ils s’évertuent à nier le reste du temps. Ils s’installent 
alors confortablement à leur table de travail, ou à une terrasse de 
café, ou sous les arbres de leur vaste jardin, et, sur un
    ton qui se veut dégagé, répertorient puis commentent les idées de 
romans, de poèmes ou de contes qu’ils ont eues, et qu’ils se sentent 
incapables de mettre en forme pour diverses raisons
    (paresse, incompétence, manque de temps ou d’intérêt). Dans le 
meilleur des cas, ils parviennent à façonner un livre échelonné de 
débuts, d’esquisses, de bouts de premières phrases. Ces jolis
    instruments de subversion littéraire sont autant de modestes 
cailloux dans la gravière des aphasies en tous genres. Je ne sais si ces
 auteurs dispersés dans le monde et le temps ont au moins une
    fois au cours de leur vie entendu parler de Maria Sombrano : les 
troubles révélés en négatif dans leurs livres furent pour cette pauvre 
femme d’une cruelle réalité, une
    malédiction.
  
    A ses dépens, cette Chilienne est devenue la muse terrifiée et malheureuse de nombre d’auteurs latino-américains
    de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe.
 Alors qu’elle aurait pu devenir l’une des premières femmes écrivains 
de renom issues de cette partie du globe,
    avant Silvana Ocampo et Lydia Cabrera, elle est restée confinée dans
 les mémoires friables de ceux qui ont recueilli ses idées avec un brin 
de malice. Mais, comme on le verra, en les lui
    filoutant, ils lui rétrocédaient simultanément ses facultés 
physiques et un minimum de santé mentale. (…)
  
    Jérôme Lafargue, L’Ami Butler, Quidam, 2007, p. 11-12.
  
    C’est comme ça que ça commence. Je veux dire : c’est comme ça que commence l’Ami Butler de Jérôme Lafargue, et
    c’est comme ça que commence mon aventure avec Quidam. C’était un mardi, comme aujourd’hui (j’essaie d’avoir toujours mon mardi libre,
 c’est
    devenu quasi rituel), et je roulais dans ma non moins rituelle 
Chamade bleu marine ; j’étais en panne d’éditeur, le dernier ayant fondu
 comme neige au soleil ; j’allais faire reproduire
    quelques manuscrits de Liquide.
 (En fait je crois bien avoir déjà raconté ça, je radote un peu, c’est 
le(s)
    métier(s) qui veu(len)t ça. Ceux qui connaissent peuvent sortir 
discrètement, sans claquer la porte.) C’était donc un mardi et à la 
radio j’écoutais les Mardis, précisément, littéraires bien sûr,
    de Pascale Casanova (qui ne sont plus le mardi, d’ailleurs). Je ne 
me souviens plus bien de ce qui s’est dit dans le détail mais ce dont je
 me souviens, c’est de mon envie immédiate de lire
    l’Ami Butler. Le lecteur y a trouvé son bonheur, il en a 
glissé deux mots à l’auteur qui, après quelques autres lectures, a 
décidé d’aller vers Quidam (« aller » c’est une
    façon de parler, j’y suis allé par la Poste, comme d’habitude), 
convaincu qu’il faudrait dans l’avenir compter avec cette petite maison 
(j’ai déjà gagné des paris plus improbables). C’est
    pourquoi je suis vraiment content d’être invité vendredi par la librairie Atout Livre en même
    temps que Jérôme Lafargue, qui y présentera son nouveau roman Dans les ombres sylvestres.
 En plus il y
    aura aussi Jacques Jouet, François Beaune et Jean-Michel Guenassia ;
 c’est un peu viril comme plateau mais ça ne manque pas de qualité. 
Commentaires
      
  Texte terrible... Je me sens soudain gravillon dans la gravière. Il y a un proverbe à inventer pour me rassurer - un peu.
  
  
   Commentaire n°1
   
      posté par   
       Depluloin      
      
   le 06/10/2009 à 18h53  
      
  Oui, il y a quelque chose de vertigineux dans ce roman. (Pour le coup, avec Lafargue, le mot roman, dont personnellement je ne suis pas grand fan, prend une nouvelle noblesse.) Je sens
  bien le nouveau aussi (entre pinède et océan) (je viens juste de l'acheter).
   Commentaire n°2
   
      posté par   
      
       PhA         
      
   le 06/10/2009 à 19h00  
      
  "Les petits graviers font les grandes gravières", tel était le poème 
censé me rassurer. Ah oui, la seule mention "roman" suffit à me rendre 
méfiant. Peut-être un peu moins maintenant.
  
  
   Commentaire n°3
   
      posté par   
       Depluloin      
      
   le 07/10/2009 à 12h31  
      
  Errata : "le poème", quelle prétention, c'est "le proverbe" qu'il fallait entendre.
  
  
   Commentaire n°4
   
      posté par   
       Depluloin      
      
   le 07/10/2009 à 12h32  
      
  Roman, car précisément, il faut voir ce que Jérôme Lafargue fait de la fiction.
  
  
   Commentaire n°5
   
      posté par   
      
       PhA         
      
   le 07/10/2009 à 13h52  
