vendredi 2 février 2024

Échouer à lire

Il y a aussi, dans le livre de Claro (L’échec Comment échouer mieux), quelques pages éclairantes sur l’échec en lecture, dont on parle trop peu, alors qu’il est l’autre versant de l’échec en écriture.


« (…) C’est ainsi que chaque livre est son propre mode d’emploi. (…) Je n’entre pas dans le texte comme un héron dans l’eau, je bute à sa surface, suis repoussé par ses angles, m’entortille dans ses rets. Quelque chose résiste, même quand, on l’a vu, semble briller l’évidence (…) Pour rendre compte de l’expérience de la lecture, il importe de voir ou revoir ce passage de Nostalghia de Tarkovski, ce long plan-séquence de neuf minutes au cours duquel un homme, Gortchakov, entame la traversée du bassin asséché d’une piscine, muni d’un moignon de bougie… (…) Qui rêve d’un texte absolument lisible, exempt de toute ombre, doucement vallonné et d’un lissé impeccable méconnaît les charmes des anfractuosités et se prive des joies du trébuchement. (…) »


Récemment, à l’occasion d’une polémique à propos du choix d’un auteur populaire pour représenter une institution saisonnière, je suis allé lire quelques extraits de l’auteur en question, que je n’avais pas lu mais dont j’aurais pu aimer le travail, car les considérations politiques importent peu au lecteur que je suis (elles importent ailleurs). Et précisément, dans ce que j’ai lu, jamais je n’ai buté, jamais je n’ai trébuché. Chaque mot était terriblement attendu. C’était, comme on le dit souvent, « bien écrit » (va-t-on dire d’un tableau qu’il est « bien peint » ?). A l’opposé, il m’est arrivé avec d’autres auteurs de buter au point de ne pas parvenir à « entrer » (on le dit souvent aussi mais ce cliché-là me convient). Sans doute n’ai-je pas trouvé le « mode d’emploi », puisque chaque livre est / a le sien. (Moi-même en écrivant j’en change à chaque fois, aussi ne dois-je ni me plaindre ni simplement m’étonner de l’indifférence polie que suscite souvent la lecture de mes livres.) Il y a un entre-deux, entre le « lissé impeccable » et la porte hermétiquement close, un entre-deux où trébucher de plaisir, qui n’est jamais le même, qui n’est jamais où on l’attend.


Échouer mieux à tracer un cercle : une spirale. Et l’on passe du monde bêtement clos à son exploration sans fin.





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