lundi 15 janvier 2024

Le Contrat, par Kafka et Franquin, épisode 1

Messerschmied n’était là que pour signer le contrat. On l’avait fait entrer, on l’avait fait s’asseoir face à un bureau ; c’était là que devait se signer le contrat. Derrière le bureau, le petit homme blond et obséquieux vantait la société pour laquelle il travaillait. Il traitait Messerschmied comme si ce dernier était quelqu’un de vraiment important, et c’était vrai qu’il était vraiment important : c’était pour ça qu’on l’avait fait venir, c’était pour ça qu’on l’avait fait asseoir dans ce bureau, face à ce petit homme blond et frêle, qui lui parlait avec obséquiosité : c’était pour signer le contrat. Messerschmied était quelqu’un d’important. L’obséquiosité du petit homme blond n’était-elle pas toutefois un peu exagérée ? N’y avait-il pas une légère moquerie à son égard dans toutes ces circonlocutions, dans tout ce bavardage laudatif sur sa propre société, où il n’occupait visiblement qu’une place subalterne ? Messerschmied relut une dernière fois le contrat, au cas où il s’y serait dissimulé une clause cachée, et lorsqu’il releva les yeux, le petit homme blond arborait toujours le même sourire impeccable ; il n’y aurait rien eu à redire à quoi que ce soit, sauf que derrière la tête au sourire impeccable apparaissait, scandaleuse et incongrue, une auréole de sainteté en matière plastique. C’en était trop, il était clair qu’on se moquait de lui ; sans aucun doute, on se moquait de lui ! C’était plus qu’il ne pouvait se permettre d’en supporter, alors Messerschmied se leva et partit en claquant la porte ; il eut juste le temps de voir l’expression d’incompréhension, laquelle certes était interprétée à la perfection, qu’arborait à présent le petit homme blond, comme s’il ne savait pas lui-même à quel point, à quel point inacceptable il se moquait du monde.

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