lundi 22 mai 2023

En lisant « Un monde sans Kafka », de Pierre Bayard

Tiens, à force de n’avoir pas lu Pierre Bayard et de le mettre à toutes les sauces, j’ai fini par acheter son dernier livre Et si les Beatles n’étaient pas nés ? Et comme en ce moment je suis en train de lire Cortazar, je n’ai pas encore commencé le Bayard ; je veux dire que je ne l’ai pas commencé par le début, parce qu’en fait j’en ai déjà lu un chapitre : « Un monde sans Kafka » ; ce n’est pas le premier chapitre du livre mais c’est le premier de la partie intitulée « Influences rétrospectives ». Ou comment la lecture et même simplement la renommée de Kafka a gauchi la lecture d’auteurs plus anciens qui ont pu, par certains aspects, être considérés comme ses précurseurs, sans avoir nécessairement des parentés entre eux. Kafka se prête encore mieux qu’un autre à ce genre de supputation, lui qui avait souhaité avant de mourir ne pas venir au monde, sur un plan éditorial s’entend, mais qui a été trahi – par amitié – par son ami Max Brod, qui a donc fait en sorte que nous vivions dans ce monde avec Kafka. Je vous laisse découvrir la conclusion délicieusement provocante de Bayard à ce sujet, laquelle n’a pas été sans me rappeler une réflexion de Marc-Antoine Marson, l’anti-Max Brod de Thomas Pilaster dans l’œuvre posthume de Thomas Pilaster d’Eric Chevillard, qui, tout en louant Max Brod d’avoir sauvé de l’oubli l’œuvre de Kafka, félicite un hypothétique Max Brad d’avoir pieusement brûlé les manuscrits de son ami non moins hypothétique Kofko. Ça me fait penser que j’avais déjà lu (un tout petit peu) Pierre Bayard : c’était un article du collectif Pour Eric Chevillard, rappelez-vous (c’est un rappel pour moi-même surtout). Moi-même, aurais-je écrit Pas Liev, à propos duquel Chevillard intitula « Variations kafkaïennes » l’article qu’il lui consacra dans le Monde ? Il est clair que Max Brod, tout à son admiration de l’œuvre de son ami, n’a pas mesuré les conséquences de son geste sur l’avenir de la littérature. Mais c’est moins sur l’influence dans l’écriture que dans la lecture que porte l’article de Pierre Bayard. J’ai commis récemment, sur ce même blog, un petit article rapprochant Franquin de Kafka (c’était d’ailleurs une récidive), que je terminais en imaginant de Mesmaeker, le personnage de l’univers de Gaston Lagaffe, en héros d’une nouvelle de Kafka. Il a été rapporté que Kafka riait beaucoup en lisant ses récits à ses amis, et cela souvent surprend, notamment les personnes qui n’ont que quelques vagues souvenirs de Kafka. Je ris souvent avec Kafka moi-même (j’ai même longtemps pensé que tous les grands auteurs étaient nécessairement des auteurs comiques). De la même manière, quand je relis Gaston Lagaffe, je suis sensible à l’évocation d’un immeuble dont la plupart des portes restent fermées, où règne un grand patron dont on n’aperçoit jamais plus que le pied, et dont les activités essentielles restent d’une opacité frappante. Frappante ? Frappante aussi l’absence de contenu des contrats que Fantasio puis Prunelle s’obstine à vouloir signer avec le non moins obstiné de Mesmaeker ? Jusqu’à quel point mes relectures de Gaston Lagaffe n’ont-elles pas été infléchies par celles de Kafka ? Maintenant que j’y repense, Franquin et Kafka sont deux des auteurs que j’ai le plus fréquentés au cours de mon adolescence. J’ai glissé insensiblement de Franquin à Kafka, sans cesser de rire, même si ce rire gagnait en inquiétude et, par contamination, inspirait à Franquin ses Idées noires.



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