Parmi les voix du post-exotisme, il y a celles d’Infernus Iohannes. Celles, car elles sont multiples. Et elles sont trois dans le premier ouvrage signé Infernus Iohannes paru jusqu’à présent, et tout récemment, aux éditions de l’Olivier : Débrouille-toi avec ton violeur. Trois : Miaki Ono, Molly Hurricane, Maria Soudaïeva. Trois, c’est sans compter les traductrices, et le traducteur. Irina Kobayashi, Astrid Koenig, Ellen Dawkes, Irena Echenguyen, Maria Echenguyen, Maria Iguacel, Rita Retzmayer, Monica Santander, Maria Schnittke, Lilith Schwack, Maria Gabriella Thielman, Anita Weingand, et alliae. Antoine Volodine. Oui, c’est pour ça que je me livre à mon goût pour l’énumération : c’est une des marques du post-exotisme. Antoine Volodine qui, dans ce livre, n’apparaît que comme le traducteur des Slogans de Maria Soudaïeva (ici réédités : ils l’avaient déjà été, seuls, en 2004, déjà chez l’Olivier).
Un avant-propos, intitulé Nos grandes traductions, ne fait pas qu’introduire les trois textes qui suivent : il fait partie de l’œuvre, clairement assumée comme collective, sans signature, et rédigée à la première personne du pluriel, « dans notre quartier de haute sécurité ». Car la littérature post-exotique est incarcérée, car elle est résistance. Nos grandes traductions, c’est aussi le sous-titre de l’ouvrage – Débrouille-toi avec ton violeur étant aussi celui du premier texte (on ne parlera pas ici de récit, la narration dans ces trois textes-ci est réduite à presque rien). Traductions du japonais (Débrouille-toi avec ton violeur, de Miaki Ono), du russe (Slogans, de Maria Soudaïeva), du maganéen (Sous les viandes, de Molly Hurricane). Comme vous, je n’avais entendu parler du maganéen jusqu’à présent. Est-ce à dire que nous n’avons jamais entendu parler maganéen ? Une petite recherche sur le sens du verbe maganer dans le français d’outre-Atlantique me suggère que le maganéen est la langue commune à tous les humains estropiés par la vie, tous les humains qui ne sont pas considérés comme tels. Cette traduction, pratiquée sans « toujours respect[er] l’éthique des traducteurs », je la lis comme un passage, une transmission d’un univers parallèle au nôtre et qui, comme en miroir grossissant, réfléchit – reflète et pense – le nôtre. Ainsi la logorrhée de Miaki Ono, Débrouille-toi avec ton violeur, paraît-elle à la fois outrancière et en même temps terriblement lucide dans son discours d’un féminisme plus que radical – dans ce qu’on appellerait féminisme si le propos n’était pas absolument désespéré. C’est d’autant plus troublant que, parmi tous les textes issus de l’univers post-exotique que j’ai pu lire, c’est celui dont les références sont les plus proches de notre propre univers. Sous les viandes, de Molly Hurricane, est à l’antipode, en terme d’univers : il emprunte des motifs à ce que nous appelons science-fiction, mais ce n’est que le moyen de dire à quel point notre corps n’est pas nous-mêmes (notre corps de femme, puisqu’il semble que seules les femmes se battent encore), à quel point l’on ne s’appartient plus dans un monde post-apocalyptique où en réalité rien n’a changé : les « boyaux-démocrates » ont toujours le pouvoir – j’ai bien envie de continuer à les appeler comme ça désormais. Puis le triptyque se clôt avec les Slogans de Maria Soudaïeva et la puissance hypnotique de leurs missions étranges : « SI TU T’APPELLES VOLAINE KAMIÈNOGORSK, TUE D’ABORD CE QUI BOUGE EN VOLAINE KAMIÈNOGORSK ! »
Ce livre est le quarante-sixième qui nous soit parvenu de l’univers post-exotique. Il y aura un autre titre signé Infernus Iohannes. Ce sera le dernier, nous dit Antoine Volodine, puisque ce sera le quarante-neuvième.
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