vendredi 20 avril 2018

Abiographie d'un auteur effacé : la Dissipation, par Nicolas Richard


Parler de son sujet ce n'est vraiment pas parler du livre, me dis-je en refermant ce livre-ci qui, si j'en résumais son contenu en trois mots, pourrait faire penser à ce livre-là, alors qu'il n'y a pas plus éloigné, non il n'y a pas plus éloigné de Toutes les pierres de Didier da Silva que la Dissipation de Nicolas Richard ; même si les deux évoquent des figures d'écrivains, vraiment j'insiste : rien à voir – sauf à dire le plaisir que chacun très différemment m'a procuré ; foin de l'apparent sujet, je suis le seul point commun (c'est le lot du lecteur).
La Dissipation en revanche ne cache pas sa référence à la Disparition, un sipa y remplace un pari ; Nicolas Richard en effet en fait un autre. Car c'est moins la lettre que l'être qui dans la Dissipation non pas disparaît mais en effet se dissipe, au point que du nom l'écrivain ne reste que l'initiale, de l'être demeure la lettre, bien sûr que c'est un P, bien sûr que non ce n'est pas Perec ; l'auteur de ce livre est aussi traducteur, je vous laisse chercher qui se dissipe, c'est facile. Car le traducteur ne veut pas trop en dire, je parle à présent de celui qui dans ce livre parle, c'est aussi l'un des personnages, traducteur de P soucieux de préserver l'effacement de son auteur, en correspondance avec une étudiante en thèse, mais l'est-elle vraiment ? Roman d'espionnage est-il précisé sous le titre et à la lire c'en est un, tous les ingrédients y sont. D'autres voix font rumeur autour de P, dont celle de « celui qui va trop loin », par les yeux duquel le roman d'espionnage le redevient au pied de la lettre.
La figure de l'écrivain est un trou noir, jusqu'à quel point P en joue nul ne peut le dire. Il y a aux Etats-Unis une mise en scène de l'écrivain à laquelle certains sont tentés de résister, comme on les comprend ; en Europe aussi sans doute mais la mesure y est moindre. Ce P qui refuse d'apparaître n'en devient que davantage un centre de gravité des fantasmes ; le plus anodin détail, la plus banale anecdote s'y pare soudain de l'aura des mythes, résonne comme un oracle sibyllin. L'abiographie de l'auteur effacé devient l'un de ses plus fameux roman : son traducteur Nicolas Richard l'a traduit.


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