lundi 27 novembre 2017

maquillage sur la langue

Il ne faudrait plus dire « nègre », mais « prête-plume ». Il ne faut plus dire ceci, mais plutôt cela. L'euphémisme est la figure royale de notre époque – depuis un certain temps déjà. J'ai toujours eu du mal avec ces euphémisations. « Non voyant » au lieu d'« aveugle », par exemple, qui me paraît un pire pour un mieux : non seulement aveugle mais en plus non voyant, comme si un organe qui ne fonctionne pas pouvait empêcher toute manière de voir – on ne me fera pas croire ça. Avec « nègre » c'est autre chose. Évidemment, même par métaphore interposée, ce mot est chargé d'un passé colonial et esclavagiste. Il est comme une cicatrice sur le corps vivant de la langue. Mais la langue, précisément, est vivante, c'est-à-dire qu'elle n'obéit pas aux injonctions de ses dépositaires : on ne tire pas un trait sur un mot pour le faire disparaître. « Prête-plume » n'a que l'élégance d'un maquillage.
Je ne suis sûrement pas objectif : j'ai des nègres – dans mes ancêtres. Et je suis certain que, en secret, ils écrivent aussi pour moi.


Remarque : Beef pour ox, pork pour pig, mutton pour sheep ; tous ces noms d'origine française désignant dans l'assiette du seigneur normand la viande de l'animal qui, tant qu'il est vivant, garde le nom que lui donnait son éleveur saxon, sont aussi le souvenir d'un passé colonial. La langue est porteuse d'une mémoire qu'il nous revient de ranimer.

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