mardi 30 mars 2010

dans le détail des corps


Après les soins, je me suis promené sur la plage, juste en bas. C’est la première fois que je sors du centre. Le soleil était encore haut, d’autant plus haut que la mer était très basse. Jamais je n’avais vu la mer se retirer autant, même aux équinoxes. On devinait à peine l’eau à l’horizon, comme un trait argenté discontinu. Alors j’ai marché dans sa direction, croisant des méduses échouées, des grappes d’œufs de seiches, de grandes ceintures d’algues.
 
Romain Verger, Zones sensibles, Quidam éditeur, 2006, p. 52.
 
J’ai revu le docteur Alpheus. Il me félicite. Que de progrès rapides j’ai accomplis ! Avec quelle facilité mon corps se fait, se défait et se refait ! Il paraît que certains résistent, d’une résistance organique. Et malgré leur bonne volonté, les résultats resteront limités. Il m’examine : je peux maintenant embrasser mes orteils, tresser mes bras, me tirer la peau de la nuque et des épaules, en couvrir ma tête comme d’une capuche. Le meilleur des yogis ferait pâle figure face à moi. Le docteur Alpheus me dit que je suis mûr.
 
Romain Verger, Zones sensibles, Quidam éditeur, 2006, p. 71-72.
 
Un professeur de français qui souffre du dos dans le train qui l’emmène à son collège de banlieue, ça fait beaucoup de zones sensibles. Celles auxquelles trop vite on pense cèdent la place aux autres, dans le dos de Romain – car c’est aussi, glissé comme par inadvertance, le prénom du narrateur – qui nous emmène, tenus que nous sommes d’une main discrète mais ferme, d’une réalité à l’autre. Un glissement naturel nous fait passer d’une autobiographie probable assez exacerbée au cauchemar tranquille et consenti de ne plus (du tout) être soi.
C’est le premier livre mais le deuxième que je lis de cet auteur aux titres doublement doubles comme son nom : Zones sensibles, Grande Ourse, Verger, Romain ; deux mots, substantif et adjectif, deux sens possibles, et chaque fois cette apparente réalité qui en cache une autre, inouïe, peu à peu avec stupeur découverte dans le détail des corps. Se peut-il que, comme le corps aussi, le nom que l’on porte joue son rôle dans l’écriture ?
Romain, l’auteur, tient son blog mystérieux (dans les deux sens de la phrase) ; c’est Membrane, allez-y sur la pointe des pieds.


Commentaires

Et mer... !
Commentaire n°1 posté par Anna de Sandre le 30/03/2010 à 09h08
N'est-ce pas ?
Réponse de PhA le 30/03/2010 à 09h27
(Je n'ai pas tout lu.) Je m'atttendais à un reportage complet sur le Salon du livre. Las! Je n'ai vu que Jospin à la télé : "qu'est-ce que vous faites (dans la vie)?" ... Ce blog Membrane, en revanche, est superbe... et mystérieux. Rassurez-vous, j'avais enlevé mes chaussures avant d'entrer!

Commentaire n°2 posté par Depluloin le 30/03/2010 à 10h12
Un reportage complet sur le Salon du Livre ? Enfin, Depluloin ; comment pourrait-il y avoir un reportage complet sur le Salon du Livre alors que ma dédicace n'a lieu que ce soir ?

Le blog est très beau et les livres aussi, d'ailleurs Grande Ourse est l'un des deux titres qui m'ont convaincu de proposer mon travail à Quidam.
Réponse de PhA le 30/03/2010 à 11h03
Le dos, comme la mer, qui se retire.

Bonne dédicace.
Commentaire n°3 posté par Gilbert Pinna, le blog graphique le 30/03/2010 à 12h20
Merci !
Réponse de PhA le 31/03/2010 à 10h28
Décidément, les éditions Quidam sont très douées pour publier des pépites...
(Heureux de vous retrouver.)
Commentaire n°4 posté par Chr.Borhen le 30/03/2010 à 18h00
Je trouve aussi - même si je suis mal placé pour renchérir.
(Réciproquement.)
Réponse de PhA le 31/03/2010 à 10h29
Je certifierai demain matin que je vous ai bien vu au Salon cet après-midi - deux photos (à défaut de la vidéo qui a capoté) en feront foi - et que vous me dédicaçates sans vous faire prier ce Liquide tranvasé précieusement de mon sac à dos dans vos mains.
Commentaire n°5 posté par Dominique Hasselmann le 30/03/2010 à 23h14
Sans me faire prier et avec plaisir !
Réponse de PhA le 31/03/2010 à 10h34
 
 

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