Au fond, la vie est ce qui nous intéresse. On ne parle guère que de ça. Le travail lui donne une forme : rectangulaire, et même
une épaisseur : celle infime de la page. Cette réduction de la vie réduite au CV, c’était le sujet du précédent livre de Thierry
Beinstingel au titre oxymorique, CV roman.
Avec Bestiaire domestique,
le fond du sujet
reste le même – la vie – de quoi parler d’autre ? – c’est l’angle
d’approche qui diffère. Car la vie est aussi dans le décor, un décor
toujours façonné par l’homme, celui de la ferme de
l’enfance (lapins) – enfance éphémère (vaches, poules) ; un décor
humain où plus tard à l’occasion surgit la vie encore qui souvent
échappe à l’attention de l’homme : chevreuils aux
abords des champs, sanglier sur la route du VRP, pigeons nouveaux
venus avec la grande entreprise qui s’érige en voisine imposante,
pigeons toujours aux fenêtres de la même où maintenant l’on
travaille, pigeons encore sur les toits de ses bâtiments
désaffectés, en attente d’un rachat – la vie du travail aussi est une
vie éphémère. Et c’est donc bien une vie qui se dessine :
enfance, adolescence amoureuse, baccalauréat qu’on rate ou pas,
entrée dans la vie active, enfance d’une nouvelle génération avec
forcément les poissons rouges, les chats qui se succèdent. La vie
d’un « on » qui n’est pas celui de la connivence, mais plutôt celui
d’une singularité discrète, comme effacée au profit du décor quotidien
que trop souvent on néglige de voir, une
singularité qui avec le temps s’affirme parfois d’un « je » fugitif.
La même chose encore que dans le livre précédent, seul que j’ai lu –
mais à en croire les Feuilles de
route de l’auteur c’est vrai aussi des précédents,
avec un auteur qui s’est comme déplacé par rapport à son objet, histoire
d’en montrer d’autres faces, lesquelles en effet
échapperaient trop facilement à un regard distrait.
Bestiaire domestique, de Thierry Beinstingel, est paru chez Fayard en
2009.
Très beau livre d'un auteur qui est aussi une belle personne.