vendredi 16 juin 2023

Pierre Bayard, le docteur Strange de la critique littéraire

« On n’arrête pas d’encenser les chefs-d’œuvre, sans prendre la mesure des dégâts qu’ils provoquent. »

Tel est l’incipit un peu provoc de Et si les Beatles n’étaient pas nés ?, le dernier-né de Pierre Bayard, paru l’an dernier aux éditions de Minuit.

Parmi les tags que vous n’avez peut-être pas remarqués mais qui accompagnent la plupart de mes billets, il en est un que j’affectionne (même si je le sers assez mal, par la rareté des billets le concernant et par la pertinence relative de ceux-ci) simplement parce qu’il a le mérite d’exister – et donc de questionner la motivation de son existence : c’est « représentation de la littérature ». On en parle vraiment trop peu, je trouve. On parle – parfois – de littérature, mais guère de sa représentation. Bayard ne parle que de ça, et ça rend sa lecture à peu près indispensable à qui s’intéresse tant soit peu à la littérature, puisqu’il n’y a guère qu’à travers le prisme de sa représentation qu’on y a accès.

« La notion d’éclipse, qui est au centre de cet essai, ne renvoie pas seulement à celles d’ombre ou de clandestinité. Elle suggère aussi, dans le champ esthétique, l’idée qu’une œuvre, par son excès de présence, en occulte d’autres, parfois au point de les faire disparaître, en particulier par le type de sensibilité qu’elle promeut et présente comme naturelle pour une époque donnée. »

Et en Docteur Strange de la critique littéraire, Bayard convoque une petite collection d’univers parallèles sans Kafka, sans Proust, sans Louise Labbé, sans Shakespeare, sans les Beatles… pour vous donner une idée du vilain désordre dans lequel j’ai lu ce livre, dont l’un des mérites est de nous expliquer pourquoi la visibilité est mauvaise, comme le disent ces Hublots depuis une quinzaine d’années, dont un autre est de multiplier l’envie de lire (me concernant, notamment Ben Jonson, qui patiente depuis trop de siècles dans ma bibliothèque), et dont un autre encore de pousser à continuer soi-même l’expérience : il existe tant de mondes sans.



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