La question de la séparation de l’artiste et de son œuvre revient
sur le tapis. Pour une fois (qui vraiment n’est pas coutume) j’ai
un avis, et comme tout le monde s’en fiche je le donne. Faut-il
séparer l’artiste de son œuvre ? Clairement : oui.
Précisément dans le cas où celui-ci serait un criminel tandis que
celle-là aurait quelque valeur : l’œuvre, si belle
soit-elle, ne saurait exonérer son auteur de ses crimes ; que
la justice fasse son travail. Hop, tout le monde est d’accord.
Parfois,
me dira-t-on, cette distinction est difficile à opérer, lorsque
l’artiste lui-même s’est chargé d’organiser la confusion
entre son œuvre et sa personne ; c’est le cas dans l’affaire
qui défraie la chronique du moment. Oserais-je le dire ? Ça me
paraît une malhonnêteté d’auteur. N’importe quel chic type
écrivant des livres pleins de bons sentiments, il n’en manque pas,
devrait à ce titre connaître un succès assuré.
Mais
il faut quand même bien dire que ce qui rend cette confusion
possible, ce qui fait qu’un artiste en vue – ou un homme
politique, ou un sportif, ou n’importe quel personne en vue – ose
se permettre ce qu’il n’oserait sans doute pas dans une autre
position (assumons le lapsus, ça fera une blague dans ce sérieux
billet), c’est que le public, de manière générale, est bien trop
attentif à la personne. On crée des icônes vivantes, on les rend
désirables. On récompense des artistes au lieu de promouvoir leur
œuvre, on élit des personnes au lieu d’élire des projets –
c’est pour ça qu’on les honnit aussitôt ou presque, au lieu de
lutter contre leurs idées. Bref, on n’en est pas encore sortis, de
cette vieille représentation du monde avec ses héros, ses saints,
etc. Quand on élira des projets politiques anonymes, quand on
publiera des œuvres sans noms d’auteur, on aura peut-être enfin
franchi un pas.
Ça fait un bien fou de lire ce que vous dites là.
RépondreSupprimerIl faut ajouter que si la distinction n'existait pas, nous serions tous comme des papillons épinglés sur un panneau de liège, autrement dit, "morts". Parce que l'"artiste" n'est rien d'autre qu'une identité sociale, càd ni celui qui s'exprime au moment où il écrit, ni l'ego qui parade (ou pas) devant les caméras, ni même le fameux "Je" dont personne ne sait vraiment ce qu'il est (sauf certains cognitivistes qui souvent savent tout)
Merci beaucoup !
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