Hier j'ai inventé un
nouveau jeu. C'est rigolo. J'ai appelé ça l'inplicit parce que ça
consiste à prendre l'incipit et l'explicit d'un livre et à les
coller l'un à l'autre. Ça nous fait l'économie de la lecture de
tout le reste et c'est souvent très révélateur. J'ai commencé
avec la Recherche et évidemment je suis tombé sur le très
joli
« Longtemps, je me
suis couché dans le Temps. »
Comme ça me disait
quelque chose, j'ai fait une recherche et je me suis rendu compte que
Genette l'avait déjà trouvé ; c'est dans Palimpsestes
mais je n'ai pas relu tout le passage, j'ai envie de refaire mes
petites trouvailles tout seul si vous voulez bien.
L'inplicit rendant le
contenu du livre implicite son nom lui va bien je trouve. A notre
époque du tout économique on a tout à y gagner, la Recherche
en huit mots est vite lue et somme toute, qui sait, il reste
l'essentiel. D'ailleurs taire est une tendance de la littérature, mon
système a du bon.
Dans la foulée, j'ai
inplicité quelques classiques que vous reconnaîtrez sans
peine :
« Nous étions à
l'Étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau
habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait la croix
d'honneur. »
« Le 15 mai
1796, le Général Bonaparte fit son entrée dans
Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le
pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles
César et Alexandre avaient un successeur : Ernest V adoré
de ses sujets qui comparaient son gouvernement à celui des
grands-ducs de Toscane. »
« Madame Vauquer,
née de Conflans, est une vieille femme qui changeait pour lui
l'aspect de la société. »
« Le rêve est une
seconde descente aux Enfers. »
« Je venais de
finir à vingt-deux ans mes études à l'université des remords aux
regrets et des fautes aux souffrances. »
(De qui est celui-ci,
hein ? On fait moins les malins.)
« C'était à
Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.
Les soldats qu'il avait
commandés en Sicile se donnaient un grand festin pour avoir touché
au manteau de Tanit. »
(L'une des difficultés,
pour certains romans, consiste à ne pas trop remonter l'explicit si
celui-ci a le malheur de dire explicitement quelque chose du
dénouement, afin de ne pas gâcher le plaisir des lecteurs qui
auraient encore l'idée incongrue de lire le roman dans son
intégralité.)
J'ai même essayé avec
un recueil de poèmes (illustre) :
« La sottise,
l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et
travaillent nos corps,
Au fond de l'inconnu pour
trouver du nouveau ! »
(Un inplicit qui me parle
de ma sottise à trouver du nouveau dans l'inconnu – en
l'occurrence ce jeu de l'inplicit : on est toujours renvoyé à
ce qu'on fait.)
Puis je suis revenu au
XXe siècle :
« Ça a débuté
comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit, qu'on n'en parle plus. »
« Nous voici encore
seuls, mon oncle. »
(Oui, c'est le même
auteur.)
« C'est le moment
de croire que j'entends des pas dans le corridor », se dit
Bernard. « Je suis bien curieux de connaître Caloub. »
(Facile, je le
reconnais.)
« Aujourd'hui,
maman est morte avec des cris de haine. »
(Mais hier, non. Demain
non plus. Il n'y aura pas d'histoire. Pas de meurtre. Ou, s'il y a
meurtre, il n'y aura pas de procès.)
Evidemment, cet auteur-ci
ne pouvait échapper :
« Le voyage de
Mercier et Camier, je peux le raconter si je veux, car l'ombre se
parfait. »
« Je serai quand
même bientôt tout à fait plus rien »
« Où maintenant continuer. »
(Remarquez comme ces
trois derniers mots résument bien le problème qui se pose à
Beckett après avoir terminé l'Innommable – car évidemment
c'est lui.)
« Vous avez mis le
pied gauche sur la rainure de cuivre et vous quittez le
compartiment. »
« Il tenait une
lettre à la main, abandonnée, inutilisable, livrée à
l'incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du
temps. »
(Un de mes inplicits
préférés. C'est la Route des Flandres de Claude Simon –
et c'est aussi la littérature.)
Comme mon ami Didier da Silva me disait le bien qu'il pensait de ce jeu (c'était sur Facebook, au
fait – un terrain de jeu, quoi), je lui ai répondu :
« C'est à peine
s'il somnole doucement dans le vent. », et vous, lisez donc
Hoffmann à Tokyo si ça n'est pas déjà fait, à quoi il m'a
répondu :
« Une autre
brindille encore apparaît, au moins comme ça enfin c'est fini. »
J'avoue que cédant au
narcissisme propre à la profession, j'avais déjà inplicité :
« C'était en plein
milieu des champs. Il n'y avait pas de relief à la surface du
monde. »
D'ailleurs j'avais bien
envie de faire un sort aussi aux auteurs contemporains, par exemple à
Pascale Petit :
« J'aime quand elle
me dit On retrouvera nos corps recouverts de suçons et deux cents
tonnes de cailloux inconnus sur Terre. »
C'est l'inplicit de
Manière d'entrer dans un cercle & d'en sortir, un
inplicit assez explicite je trouve ; quelque chose comme le
faisceau minuscule et circonscrit d'une lampe torche dans la
pénombre.
(Bon, ceux qui chercheraient des réponses peuvent regarder dans les libellés au pied de ce billet.)
Joli jeu!
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerIdée simple mais ô combien jubilatoire, promesse profuse de bonheurs !
RépondreSupprimerAinsi réduit à deux phrases, le Voyage de Céline résonne comme du Beckett, justement…
Merci ! Pour la peine, un peu de rab :
SupprimerInplicit dostoïevskien :
"L'été arriva, et Veltchaninov le regretta plus tard !"
Melvillian inplicit :
"Call me another orphan."
Inplicit chevillardien de 2017 :
"C'est beau dans toutes les directions."
Pour rester chez les Slaves, un peu de Gombrowicz :
RépondreSupprimer« Je vous raconterai une autre aventure plus étonnante… Aujourd'hui, à déjeuner, on a mangé de la poule au riz. »